Il faudra attendre peu de temps, en définitive le troisième morceau de cet album live à l'ampleur réellement cinématographique pour comprendre à quel point Dylan reste un immense interprète même à 80 balais. Queen Jane a en effet ce pouvoir de nous renvoyer presque soixante ans en arrière tout en nous projetant vers l'avant. Il est encore d'une modernité folle, d'une élégance rare. Les quelques arpèges dessinés avec une exquise douceur, les notes d'un harmonica esquissées ça et là et la voix de Dylan, plus fragile et cristalline que sur l'opulent Rough & Rowdy Ways, sont d'entrée de jeu de superbes intentions d'auteur.
Tout est parfaitement calculé, mis en boîte et en image par un groupe conscient d'appartenir à hier et aujourd'hui, liant chaque morceaux par un petit préparatif musical pour chauffer la salle. Les réinterprétations des classiques de Dylan semblent moins radicales que ce qu'on a pu entendre sur scène ces dix dernières années, on ressentirait presque de la décontraction et de l'amusement (To Be Alone With You), un respect pour la période classique intouchable (Tombstone Blues en suspension) ou la relecture d'un titre tombé dans l'anonymat (What Was It You Wanted), beau à en crever lorsque l'harmonica de Dylan ne nous tire pas tout simplement les larmes. On est encore surpris par la force d'expression de son auteur même si tout n'est pas parfait : Pledging My Time est un peu paresseux, I'll Be Your Baby Tonight est rapidement digéré et l'accordéon de The Wicked Messenger dénote un peu de l'humour général du titre en apportant un peu trop de romantisme cliché.
Pour son quarantième album officiel, Dylan explore avec toujours autant de surprises une discographie triée ici de telle sorte à mettre la lumière sur d'impeccables titres dont la portée politique n'est pas une priorité. Si certains ne sont pas aussi brillants que d'autres, c'est parce que ces mêmes autres sont de base beaucoup trop forts. Ou que leur réinterprétation confine au sublime discret. Dylan ne choisira de toutes manières aucun camp, ce dernier s'amusant à clore l'album par un instrumental un brin mystérieux mais toujours très, très cinématographique.