Sin After Sin
7.2
Sin After Sin

Album de Judas Priest (1977)

J’aime l’ordre, et mon goût en matière de heavy metal témoigne de cet amour. Les groupes que j’affectionne sont classés par ordre de préférence, et Judas Priest est celui qui juche sur la troisième marche du podium, dépassé par les seuls Black Sabbath et Manowar. Identiquement au médaillé d’or et à celui d’argent, le médaillé de bronze a récité toute sa discographie dans mes oreilles un nombre incalculable de fois, et c’est de manière très récurrente que le Priest me délecte les esgourdes pour faire suite à un besoin personnel de les écouter. Sin After Sin est le premier à détenir réellement la substance musicale du groupe, c’est la chrysalide qui se déchire au son de huit (non, sept) morceaux époustouflants.
Sad Wings of Destiny, son prédécesseur, se démarquait par ses deux ballades très marquantes : Dreamer Deceiver et surtout l’immense chef d’œuvre Victim of Changes. Sin After Sin incarne une rupture, le Priest est dorénavant animé par une volonté d’appliquer le fer rouge sur notre esprit à l’aide de titres heavy metal bien brutaux mais toujours sophistiqués, un alliage qui deviendra la marque de fabrique de cette magnifique formation. Sin After Sin est donc l’album des balbutiements, et on sent que le nourrisson a déjà un coffre époustouflant !

Sinner démarre les hostilités, un titre monumental et à multiples facettes pour nous en mettre plein les oreilles dès le début. Le riff principal abat son travail de sape, ne daignant s’effacer que pour celui du refrain, tout aussi grandiose, ainsi pour les différents passages musicaux qui composent le morceau. Les guitares font feu de toutes parts, c’est un feu d’artifice de gratte qui détonne sans relâche. Comme évoqués, les riffs sont entraînants et rutilants, et le solo de Tipton, qui s’amalgame merveilleusement bien sur ces riffs, il est tout bonnement extraordinaire. On notera que le duo de guitariste a trouvé ici sa recette qui fait mouche, et qui contribuera à solidifier la substance de Judas Priest : l’harmonie foudroyante entre le soliste et le rythmique. Comme souvent, Rob Halford chante magnifiquement bien, lui aussi pète le feu, et ça se ressent autant sur le refrain survolté que sur les couplets, où il module sa voix mais y ajoute du rythme et un phrasé unique. Un classique du groupe, un monument du heavy metal.

Le deuxième morceau est une reprise de Joan Baez, l’émouvant Diamonds and Rust. Reprendre un tel fleuron de l’époque Baez, Dylan et autres figures de la musique pop des années 60 avait tout de l’exercice périlleux, mais le Prêtre s’en sort à merveille. Rob Halford se démène comme un beau diable pour assurer une prestation vocale sublimement intense, et le reste du groupe maîtrise à la perfection la métamorphose de cette chanson symbolique. Par une rythmique carrée et des accords de guitares percutants et limpides (il y a un parfum de Kiss dans ces plans de guitares), Judas Priest parvient à façonner Diamonds and Rust à sa manière, et le résultat est impeccable.

Arrive ensuite le quasi-militaire Starbreaker, carré comme la loi, et imperturbable comme ceux qui la font appliquer. La batterie et le riff représentent bien les balbutiements évoqués plus haut, on sent un groupe qui se cherche encore, qui veut produire du heavy metal bien trempé et bien dans les règles, sans dépasser, sans expérimenter. Rien d’original, mais quand c’est bien exécuté, qu’est-ce qu’on peut dire d’autre ? Ah, si, c’est ce type de morceau, cette recette bien définie qui a inspiré bon nombre de groupes par la suite, notamment dans le style nommé New Wave of British Heavy Metal.

Last Rose of Summer est la ballade pénible de l’album, le morceau qui empêche Sin After Sin de posséder cent pour cent de bons titres, le parasite qui grignote le huit sur huit pour n’en faire plus qu’un sept sur huit. La voix d’Halford est apaisante, et sa justesse est toujours appréciable, mais à part ça, c’est d’une nullité et d’une niaiserie crasses. Le refrain, pataud et balourd, est répété de manière beaucoup trop redondante, et le reste du morceau est une neige de blancs d’œufs qui ne durcit jamais, ne prend aucune forme, qui persiste lamentablement en un amas insipide de mousse pâlichonne. On aurait beau fouetter encore et encore, que rien ne se passerait, autant jeter le tout à la poubelle, car il n’y a rien à sauver ni à garder. Cette ballade est de celles qui tachent malgré leur fadeur. Comment un tel groupe a-t-il pu composer et produire un truc pareil ?

Let Us Prey est une piste purement instrumentale qui sert d’introduction épique et grandiloquente (une guitare qui sonne proche de celle de Brian May) pour le morceau suivant : Call for the Priest. On a ici un morceau beaucoup plus typé speed metal, avec une batterie virevoltante et inépuisable, couplée à des riffs de guitare véloces et insaisissables. Pour soutenir ce pogo d’atomes survoltés, la basse bourdonne à fond et sans relâche ! Un morceau très bon et rendu excellent par les guitares qui, comme pour évacuer une frustration née de l’ennui de ne jouer que des riffs, se lâchent complètement lors des solos, qui parviennent à être supersoniques sans devenir brouillons. Les seules accalmies surviennent lors du refrain.

Après la furie tempétueuse du speed, Judas Priest s’atèle à la force tranquille du groove, au sens groove metal évidemment. Raw Deal démarre comme démarreront bon nombre des chansons de Pantera, l’agressivité en moins. C’est un morceau plutôt calme, un grand frère à Heroes End, qui est moulé à partir du même socle. Le riff est très plaisant, et la voix de Rob Halford s’harmonise à la perfection avec, surtout lors du refrain. Le pinacle harmonique étant atteint lors du solo, où la guitare soliste apporte une beauté tranchante au riff brutal et tout en rondeur qui l’accompagne. Mais là où Raw Deal se distingue, c’est au niveau de l’accélération tonitruante qui a lieu vers la moitié de la chanson, et c’est à ce moment que nos nuques, dodelinant agréablement jusqu’ici, se mettent et brinquebaler à tout va jusqu’à la fin du titre, où l’intensité oppressante atteint des sommets.

Here Comes the Tears peut être citée comme la moins connue des trois ballades épiques et poignantes de Judas Priest, celle qui peine à briller tant elle se tapit dans l’ombre de Victim of Changes et Beyond the Realms of Death, deux astres bien trop lumineux et célestes pour Here Comes the Tears, encore trop tendre. Cependant, ce morceau réussit à surprendre par son intensité émotionnelle, la fin est inoubliable tant Rob Halford chante divinement bien. Sa voix scandant le refrain à perte d’organe opère une incision brûlante dans notre mémoire pour ne jamais en sortir. Contrairement à Last Rose of Summer, l’ambiance douce est ici très réussie, la guitare acoustique nous plonge dans une dignité triste qui nous prend aux tripes. Rob Halford assure ensuite une transition entre ce passage calme et le second passage de la chanson, beaucoup plus puissant et poignant. Ce chanteur me laisse abasourdi à chaque fois que je l’écoute, il figure parmi mes trois chanteurs heavy metal préférés avec Adams et Dio. Le final du morceau mêle la voix magnifique de Rob avec une explosion avant que l’accalmie se produise lors d’une transition tout en continuité avec le dernier morceau de l’album, l’inqualifiable Dissident Aggressor.

Rares sont les morceaux qui peuvent, en un instant, me faire totalement perdre la boule, et Dissident Aggressor en fait partie. En une seconde, je reconnais cet infernal intervalle joué à la guitare, le grondement inquiétant qui préfigure la tempête de violence. Le nuage était chargé d’éclairs, et c’est le cri strident de Rob Halford qui fait office de coup de tonnerre. La suite, un déluge de férocité, un riff surpuissant conjugué à un chant agressif, qui fait montre de son ineffable rage avant de vous paralyser tout entier à l’aide de son timbre aigu qui glace le sang des alligators. Le refrain est une explosion soudaine, un coup de pétard sec et tranchant qui nous sonne en une seconde, sans que l’on puisse se rendre compte que le second couplet a déjà démarré. Dissident Aggressor, c’est le traumatisme qui annihile votre innocence pour vous transformer en monstre incontrôlable, c’est la déflagration qui vous rend avide de sang. Si Gandhi avait pu écouter Dissident Aggressor, il serait devenu un dictateur ivre de meurtres. Je ne vais même pas parler de la version livre sinon je vais détruire le clavier et tabasser le premier être vivant qui passe. Dissident Aggressor putain, même le nom est inhumainement stylé.

Sin After Sin restera à jamais le point de départ d’un groupe légendaire. S’il ne s’agit pas à de leur premier album, il est celui où leur style et leur identité ont commencé à apparaître et à se peaufiner. Un album monumental qui ne souffre que de la présence de Last Rose of Summer, mais qui regorge de perles, et surtout qui contient un joyau apocalyptique en Dissident Aggressor. Indispensable.

La version remasterisée contient deux bonus, un morceau sympatoche mais trivial, Race With the Devil, et une version live de Jawbreaker. Quel intérêt ? Si je veux écouter du Priest en live, j’écoute leurs albums live. Si je veux écouter Jawbreaker, j’écoute Defenders of the Faith, où sa place est légitime. Je déteste les bonus rien que pour ça, le désordre qu’ils engendrent. J’aime l’ordre.

Ubuesque_jarapaf
8

Créée

le 23 août 2022

Critique lue 32 fois

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