Sky Blue Sky
7.4
Sky Blue Sky

Album de Wilco (2007)

C'est sympa, je rentre discrètement en cure de désintoxication et ça fait plus de bruit que tous mes disques réunis. C'était même sur le déroulant de CNN... » Pour ceux qui en douteraient, Jeff Tweedy, le leader migraineux de Wilco aux faux airs de Harvey Keitel, a le sens de l'humour. La citation est extraite d'un captivant DVD (1) retraçant la tournée en solo du chanteur-compositeur américain le plus doué de sa génération, enfin libéré de sa dramatique dépendance à l'alcool et aux analgésiques. Désormais accro au Coca Light (« trente canettes par jour »), celui qui nous faisait partager dans ses splendides chansons dérangées ses failles et ses tourments d'artiste intelligent a découvert qu'au-dessus de sa tête, même dans ses moments les plus désespérés, un ciel bleu, majestueux, brillait toujours. D'où ce nouvel album serein, épuré, positif. Si Tweedy continue d'énumérer ses éternels tentations et démons, il les voit désormais comme l'envers logique de l'existence pas si terrible que ça qu'il mène (du talent à revendre, une certaine lucidité, une compagne aimante...). Tweedy, aujourd'hui, dans son propos, n'est pas si éloigné du Jackson Browne poète analytique et inspiré des années 70. Et la musique, dans tout ça ? Qu'est devenu le formidable éclec­tisme du Wilco qui brassait avec une cohérence inouïe country alternative et avant-garde bruitiste, pop acide et rock stonien ? Elle s'est dissoute dans un soft rock habité aux harmonies enchanteresses et aux envolées de guitares divines. Mais dissoute en apparence seulement. Car la complexité est toujours là, plus fluide, plus subtile qu'auparavant. Le plus beau titre de l'album, Impossible Germany, est tout bonnement un chef-d'oeuvre de rock West Coast, évoquant tour à tour le Grateful Dead, les Allman Brothers Band et les Feelies. Rien que ça. Certains ne verront dans Sky blue sky qu'une pause, un temps d'arrêt, dans la passionnante carrière de Wilco : bien au contraire, il démontre que Tweedy, après vingt ans de carrière, n'a pas fini d'avancer, d'évoluer. Combien peuvent en dire autant ? Hugo Cassavetti


Sky Blue Sky procure d'emblée une sensation de sérénité, voire de convivialité, qui tranche singulièrement avec l'atmosphère de chaos sophistiqué et les irruptions soniques et rythmiques de Yankee Hotel Foxtrot (2002) et de A Ghost Is Born (2004). Jim O Rourke, qui avait largement contribué à l'insurrection esthétique de Wilco, lequel quittait l'americana chatoyante de ses premières années pour aller fureter du côté du krautrock et du New York bruitiste, apparaît ici en retrait. Il n'empêche, et c'est loin d'être une injure, que Sky Blue Sky laisse à nouveau la part du songwriting dominer les débats, et la chanson-titre, avec ses humeurs badines et son instrumentation laidback, semble clairement avoir été composée sur un rocking-chair et non, comme c'était parfois le cas hier, en marchant sur des tessons de bouteille. Partant de là, ce sixième album de Wilco ? si l'on fait exception de quelques solos de guitare un peu douteux ? aligne un chapelet de compositions à la fois profondes et solaires qui contribuent à entretenir le statut à part d'un groupe qui n'obéit qu'à sa propre logique, s'amusant à faire le yoyo entre l'ombre et la lumière pour mieux échapper à toute forme de cristallisation dans un genre ou une époque. Dans cet exercice périlleux de transformisme permanent, dont Neil Young incarna longtemps une sorte de maître absolu, Wilco tend cette fois-ci son visage le plus affable, le plus Harvest, même si on devine aisément qu'il ne s'agit que d'une pause avant une possible volte-face future. A l'instar de son congénère Mark Linkous de Sparklehorse, qui s'est beaucoup moins bien soigné des maux qui le tiraillent, la limpidité foudroyante de l'écriture de Tweedy apparaît comme l'incarnation de quelque chose d'universel, notamment lorsque les mélodies en apparence les plus simples (Either Way, Leave Me Like You Found Me) finissent par culminer en autant d'apothéoses discrètes, de miracles modestes. Ce beau ciel bleu, annonciateur sans doute d'autres fougueuses tempêtes, donne ainsi autant le vertige qu'il réconforte les sens. (Inrocks)
On les voit venir de loin ceux qui, à la première écoute de Sky Blue Sky, oseront parler de régression traditionaliste chez Jeff Tweedy et ses hommes, voire de passéisme. Triste et paresseux constat de ne voir ici à l’œuvre que de besogneux archéologues explorant sans le moindre recul et sans la moindre distance les tréfonds d’une histoire centenaire, celle de la musique enregistrée en Amérique. Il est vrai que Jim O’Rourke, à l’œuvre sur les précédents et non moins remarquables albums de Wilco (collaboration poussée qui aboutit également aux deux excellents Lp’s de Loose Fur), est absent ici, et que le propos est recentré sur des compositions, souvent tristes et faussement calmes, bien moins ouvertes que par le passé. Mais plutôt que des brocanteurs qui remettraient en état quelques brinquebalantes armoires normandes (The Band, The Beatles, The Flying Burritto Brothers, Lynyrd Skynyrd), le groupe atteint ici une forme de sagesse, de douceur, de maturité dans les compositions qui, si elle doit effectivement beaucoup aux enseignements des glorieux anciens, n’en demeurent pas moins une sorte d’accomplissement grandiose. Il faut d’abord écouter Sky Blue Sky en voiture, puis le ramener chez soi afin que son excellence imprime sa marque dans notre quotidien. Il y avait bien longtemps qu’on n’avait pas établi un rapport aussi intime, viscéral même, avec un simple disque, dont voici quelques merveilles détaillées. L’idée de génie, par exemple, est d’avoir placé en ouverture deux morceaux basés sur la même suite d’accords (Either Way et You Are My Face). Il va donc falloir donner un peu de soi, être attentif aux détails qui sont légion sous cette tranquillité d’apparence. La troisième plage (Impossible Germany), lacustre ballade qui contient le plus bouleversant solo de guitare du XXIe siècle entendu à ce jour, est à la fois un tour de force et le sommet du disque. Au milieu du morceau, Jeff Tweedy commence un solo à la Tom Verlaine, fait ses gammes, tout en tissant des motifs virtuoses et jamais assommants, avant que deux guitares à la tierce déboulent dans la grande tradition de Thin Lizzy et forment un canevas où notre homme va perdre toute sa retenue, se lâcher dans une véritable apothéose et rejoindre le groupe qui, au final, retombe sur ses pattes. L’album continue et contient d’autres sommets (Walken), distillant une mélancolie pleine d’espoir (On And On And On), mais la place nous manque et l’on s’en tiendra à ce simple constat : Wilco est aujourd’hui, n’en déplaise à certains, au sommet de son art.(Magic)
En 2002, les photos de Chicago qui ornent l'album "Yankee Hotel Foxtrot" représentent de longs bâtiments hauts et droits. Le son du groupe est alors acéré, les riffs de guitare tendus, les rythmes brisés, à l'image de l'architecture de leur ville.En 2007, la pochette de "Sky Blue Sky" regarde le ciel et vise au-dessus des buildings. Les thèmes de ces 12 nouveaux morceaux sont sombres. Jeff Tweedy, la tête pensante du groupe, y chronique la désintégration d'une relation, des crises personnelles et les bouleversements qui vont avec. L'humeur est sombre, mais jamais oppressante. L'écriture a un effet cathartique sur Tweedy qui déclare lors d'une entrevue accordée à la presse américaine : "Dans la vie, rien ne semble clairement défini, j'ai fait un effort surhumain pour communiquer des choses difficiles à dire". Il se veut introspectif et son écriture va droit au but "L'album progresse et t'emporte quelque part, il parle de lui-même, je n'ai pas grand-chose de plus à dire aux journalistes".Musicalement, "Sky Blue Sky" est plus direct que ses prédécesseurs, plus pop aussi, sur "Either Way"et "Hate it Here". En studio, le guitariste Nels Cline, déjà présent sur le live de 2005 ("Kicking Television"), apporte une touche qui souligne magnifiquement le sentiment des chansons. Le son est aérien, pur et dense, à l'image du titre éponyme et sur "Please Be Patient With Me" morceau subtil, dépouillé, émouvant.Longtemps accro aux tranquillisants, étranglé par de nombreux démons, Tweedy semble avoir aujourd'hui trouvé une paix intérieure : "Je suis quelqu'un bourré d'espoir. En vieillissant, je peux accepter les choses telles qu'elles sont au lieu de me taper la tête contre les murs. J'arrive à les regarder avec plus de réalité, à les accepter". Un équilibre trouvé entre sa vie d'artiste, de mari et de père. Le ciel est bleu et "Sky Blue Sky" est un des meilleurs disques del'année, assurément.(Popnews)
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le 26 févr. 2022

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