Un an. Un laps de temps au cours duquel il peut se passer pas mal de choses, finalement. C’est par exemple le temps qu’il a fallu à Blind Guardian pour passer du statut de groupe anecdotique à celui d’une entité qui a su se forger une réelle identité. Car entre les deux premières offrandes des teutons de Krefeld et ce Tales From the Twilight World, il y a, sinon un gouffre, du moins une sacrée crevasse.

Certes les allemands avaient réussi à pondre quelques très bons titres qui sont toujours d’excellents moments en concert (« Majesty », « Banish From Sanctuary » ou encore le fameux « Valhalla »), mais ceux-ci se noyaient dans des ensembles qui, sans être catastrophiques, restaient d’une qualité médiocre. Sur Tales From the Twilight World, Blind Guardian arrive à garder les forces des morceaux précités, tout en les développant, et surtout en arrivant à en composer un plus grand nombre. C’est cette homogénéité, dont on ressent les manques sur Battalions of Fear ou Follow the Blind, qui combinée à l’amélioration des musiciens, qui permet de donner au final un opus qui, sans être exceptionnel, place le groupe dans le haut du panier du metal allemand et se révèle prometteur pour la suite de sa carrière.

Bien sûr, tout n’est pas réussi et quelques « déchets » restent présents (« Tommyknockers », les dispensables « Weird Dreams » ou « Altair 4 », la fin de « The Last Candle » avec laquelle j’ai toujours un peu de mal en dépit de la qualité du reste du morceau), mais le reste forme un tout très solide, très équilibré et d’un niveau plus que correct, sans réelle faiblesse.

C’est ici qu’émerge l’identité de Blind Guardian, les facettes qui caractériseront sa musique pour les années à venir se mettent en place. Les titres sont directs, les refrains ultra-efficaces et immédiatement mémorisables. Tout semble taillé pour le live, il est peu étonnant de constater que certains morceaux sont toujours joués aujourd’hui (avec le presque rituel « Welcome to the show, and welcome to… dyiiiiiing ! » pour introduire le morceau éponyme). Ce qui a changé, c’est aussi le niveau des musiciens, qui contrôlent désormais nettement mieux leurs instruments, ce qui ne fait certes pas tout (la seule maîtrise étant insuffisante) mais est souvent nécessaire pour proposer une musique de qualité. La progression d’Hansi est particulièrement frappante, on dirait ne pas avoir affaire au même chanteur. Aucune idée de ce qu’il a fait pour arriver à ce résultat, mais il module désormais sa voix, parvient à élargir son registre et à varier dans son approche. C’est aussi cette voix, ce timbre reconnaissable, qui va participer à l’élaboration de la personnalité de Blind Guardian. À l’aide des guitaristes qui font enfin sérieusement parler la poudre à coups de riffs accrocheurs et de soli bien foutus, de chœurs bien dosés (encore une des marques de fabrique du groupe), ce côté épique qu’on retrouvera par la suite se révèle et se fond parfaitement dans l’équilibre de la musique.

C’est aussi l’occasion d’un nouvel exercice, à savoir la ballade, choix périlleux tant on peut tomber dans un excès de mièvrerie parfaitement grotesque. C’est « Lord of the Rings » qui inaugure cette pratique, avec succès, restant un de mes moments favoris lors des concerts (dont la version est d’ailleurs nettement supérieure à celle du studio, le disque de 2003 le montre bien), avec son solo tombant à point et sa fin en crescendo.

Ce qui ne change pas, c’est l’inspiration pour les paroles écrites par Hansi, souvent tirées de l’univers heroic-fantasy qu’il affectionne tant. Ainsi, l’excellent opener (qui montre d’emblée la progression effectuée, les auditeurs ont dû être agréablement surprise en 1990) s’inspire du cycle de Dune d’Herbert, Tolkien est toujours présent avec la ballade dont le nom parle de lui-même ou le très bon « Lost in the Twilight Hall » (Kai Hansen y est d’ailleurs invité pour accompagner Hansi)… Bref, pas de révolution de ce côté. C’est par contre un nouveau style visuel qui habille la pochette, réalisée par Andreas Marschall et qui marque le début d’une fructueuse collaboration entre l’artiste et le groupe.

On peut donc sans doute affirmer que Tales From the Twilight World, bien que piochant quelques éléments déjà existant dans la musique de ses prédécesseurs, est l’album tournant de la discographie des allemands. Une sorte de renaissance, en tout cas la naissance du son qui a su me convaincre. À partir de là, le quatuor saura réutiliser cette recette en la peaufinant, pour le résultat que l’on sait.
Flavinours
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le 10 août 2012

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Flavien M

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