Tempest
6.2
Tempest

Album de Bob Dylan (2012)

Le poète du 20ème siècle a encore frappé avec « Tempest ». N’ayons pas peur des mots, on a affaire ici à un grand album. Grand par le talent de son auteur, Bob Dylan, grand par la capacité de ce disque à refléter le monde actuel. Après « Together Through Life », album certes pour le moins sympathique mais loin d’être renversant, on n’attendait plus notre folkleux préféré à ce niveau. Ici, on assiste à un véritable classique du genre, on ne peut dire s’il est meilleur qu’un « Oh Mercy » ou un Time Out Of Mind », tout simplement, « Tempest » est aussi bien ancré dans l’histoire actuelle qu’intemporel.

L’introduction du disque et de Duquesne Whistle nous fait d’abord penser que nous assisterons à un Together Through Life bis. Et là, la rupture, commence alors la première piste, superbe boogie réjouissant qui nous pousse à nous trémousser dès les premières notes. La voix est acérée et montre où elle veut aller. Cette chanson sonne le glas de ce monde, le sifflement de Duquesne retentissant nous donne le point de départ d’un album teinté de désespoir et d’une foi sans borne. Non sans talent, Dylan nous offre une note d’espoir et une sorte de mode d’emploi quant à la marche à suivre pour survivre dans ce monde défraichi.

Assis au coin du feu, on assiste avec Soon After Midnight à un mix hallucinant alliant le talent de crooner de Richard Hawley et la voix de Tom Waits, tout cela à la sauce Dylan. Le résultat est détonnant, on obtient un petit bijou country-jazzy. Sa voix y est presque méconnaissable, s’appliquant au maximum à réussir sa déclaration d’amour.

Suit Narrow Way, boogie s’étalant sur 7 minutes pourra en rebuter plus d’un, pourtant, la rythmique entraînante et entêtante amène l’écouteur dans des régions désertiques. Seul, avec sa guitare, contemplant le monde. Le titre qu’il faut absolument mettre en voiture, effet garanti.

Long And Wasted Years s’applique à montrer que Bob Dylan n’est pas mort pour les mélodies intemporelles. Les guitares restent en tête, un effet planant s’installe petit à petit dans tout notre être, on se croirait revenu au temps de l’insouciance et de la folie des années 60.

Dès les premières secondes, la voix se met à rugir comme encore jamais on ne l’avait entendu. Pay In Blood s’annonce comme un futur classique. Plus tard, on dressera les titres mémorables de Bob Dylan, Pay In Blood en fera indéniablement parti au même titre que Blowin’ In The Wind, Love Sick ou Changing Of the Guards (oui, c’est un classique). Le refrain exquis de sous-entendu est clairement l’un des points forts du titre, « Pay In Blood, but not my own » revient sans cesse dans nos têtes comme un marteau qu’on nous martèle. Dans ce titre, le premier sentiment qui en ressort est qu’il en veut à quelqu’un. Mais en y regardant de plus près, on peut croire qu’il parle d’une entité bien réelle. J’ai tout de suite pensé à Wall Street et au crash boursier, à vous de faire votre propre interprétation.

Scarlet Town est le reflet d’une ville imaginée (ou bien celle de son enfance) par Bob Dylan. Il nous y conte son histoire et comment y survivre. Là aussi, la voix est profonde, tout droit sorti d’outre-tombe, nous montrant la route à suivre pour ne pas nous perdre dans les méandres de cette ville écarlate. S’il devait y avoir Ain’t Talkin’ part 2 (de « Modern Times »), ce serait Scarlet Town, tout y est, elles possèdent toutes les deux, une dimension avait certes une dimension toute particulière dans la carrière du taiseux américain. Scarlet Town s’impose encore une fois, elle aussi comme un classique.

Early Roman Kings ou le morceau plan-plan du disque. Réducteur, certes, mais comment accepter un titre comme cela détonnant totalement avec le reste de l’album. Néanmoins, un pastiche agréable de Muddy Waters (ou Buddy Guy au choix).

Tin Angel, ballade crépusculaire par excellence, est un titre à la mélodie accrocheuse rejoignant le panthéon des meilleurs titres de l’opus. 9 minutes et on en redemande encore !

L’album ne s’essoufflant toujours pas (on oublie Early Roman Kings), on essaye de se pincer pour y croire. Comment un mec de 71 ans arrive encore à nous mettre un uppercut de la guitare en pleine poitrine.

Tempest, nous conte l’histoire du Titanic revisitée par ses soins (allant même citer Leonardo Di Caprio !) fait avec une élégance toute singulière. Accents irlandais au rendez-vous, c’est un morceau de bravoure qui ne s’essouffle heureusement jamais. Pourtant, ses quatorze minutes pourraient paraître redondantes. Morceau pas si abordable que cela au premier abord, il s’apprivoise au fil des écoutes. On a affaire finalement ici à un nouvel hymne irlandais, oui, rien que ça. Le violon qui arrive à partir de 5 minutes puis à 11 minutes est exquis (tout comme l’accordéon à la 11ème min également) apporte une autre dimension au titre. Parle-il réellement de la tempête qui a fait sombrer le Titanic ou bien de la situation depuis 2008 ?

Pour conclure, voilà Roll on John. Il démarre un peu à la manière de Love Sick. Tout en retenu, Dylan nous crie son désespoir quant à la perte d’êtres chers et plus particulièrement à son ami John Lennon. Allant même jusqu’à citer des titres des Beatles (A Day In The Life), il nous montre que le mélodiste qui était en lui n’était pas mort, juste ensommeillé. Roll On John s’avère très certainement comme l’un des meilleurs morceaux de Old Bob. Refrain entêtant encore une fois, déchirant, nous fait penser à nos propres pertes. Cette chanson est autant déprimante que réjouissante, nous rappelant les bons et mauvais moments.

Produit par ses propres soins, l’album regorge de morceaux de bravoure, on a presque l’impression que la vie de Bob Dylan ne tient plus qu’à un fil, que chacune des chansons peuvent rompre à tout moment. Abîmée par les années, la voix du Zim n’en est dans cet album que plus belle et éclatante, en ressort toutes les blessures de l’âme. On s’accorde à dire que c’est la voix qui fait tout le disque, qu’elle en fait un album unique, intemporel. Pourtant, j’irai un peu plus loin. Dans chaque chanson, il nous livre une parcelle de son âme et dans chacune d’elle, il y a une véritable mélodie mélancolique qui en ressort. Sentant la fin finalement plus proche que ce qu’il n’y parait tant on pense Bob Dylan immortel, il nous livre tout, il nous donne tout. On a l’impression de se retrouver devant la vision qu’à Bob Dylan de notre monde actuellement. Il nous livre ses états d’âme, ce qu’il n’avait pas réellement fait depuis « Time Out Of Mind » et épisodiquement dans ses derniers albums. Il donne en quelque sorte une vision apocalyptique du monde mais nous par la même occasion le mode d’emploi pour survivre dans cette jungle. Bob Dylan nous donne un espoir, la musique en 2012 nous réserve encore des surprises, c’est bon signe. L’album de notre temps par excellence, un album de crise, peut-être le dernier, son chant du cygne.

Le clip de Duquesne Whistle : http://www.youtube.com/watch?v=mns9VeRguys

Créée

le 17 juil. 2014

Critique lue 365 fois

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Maccaswing

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