Virage sans dérapage

Critique publiée initialement sur https://www.kayzen64.fr/musique/the-car/

« Je trouve The Car très lassant. C’était pourtant très intéressant de voir les Arctic Monkeys changer de style mais on a l’impression qu’ils ne sont pas allés au bout de leurs idées. L’album paraît mou et vide à chaque écoute. On dort quasiment devant… »Ce que vous venez de lire est un extrait de ma première critique du tout dernier album des Arctic Monkeys, publiée seulement vingt heures après ma première écoute. Bien que cette critique n’aurait pas dû sortir si tôt, j’ai pu en tirer une leçon importante : il faut donner du temps aux œuvres. Du temps pour les contempler, les analyser, les comprendre… Du temps pour les apprécier davantage. Ou pour mieux les détester.À ce jour, plus d’un mois nous sépare de la sortie de The Car. Il est enfin temps pour moi d’offrir une seconde critique à cette œuvre qui, d’une manière ou d’une autre, a marqué ma fin d’année 2022…

Avant d’écouter The Car, les Arctic Monkeys n’étaient à mes yeux que Favourite Worst Nightmare. Sorti en 2007 soit quinze ans plus tôt, ce-dernier fait partie de ces albums qui pourraient, à mon sens, définir le rock. Spontané, effréné, puissant, addictif. Des instruments en pleine synergie. Des musiciens en roue libre qui ne réfléchissent pas, ou du moins, c’est ce qui nous laissent penser. Voilà ce qu’est Favourite Worst Nightmare. Voilà pourquoi il fût, pendant une ou deux semaines, l’un de mes albums de chevet.Lorsque je commençais enfin à me remettre de mes émotions, The Car sortait. Curieux de voir ce qu’étaient devenus les Monkeys, j’ai entamé ma première écoute de l’album le vendredi de sa sortie, autour de minuit… et le moins que je puisse dire, c’est que c’était une grande surprise ! La batterie hyperactive et insolente de Matt Helders opère désormais par touches. Les violons font leur apparition et dominent la scène sonore, accompagnés par le piano et les synthés. Les riffs glorieux et prédominants se raréfient, s’adoucissent, se subliment. Chaque instrument est remis en question et se voit accorder un tout nouveau rôle. Quant aux textes, ils sont empreints de poésie et d’émotions, portés par la voix de crooner d’Alex Turner.Avec The Car, les Monkeys nous dépaysent. Leur rock, ou du moins ce qu’il en reste, est ici épuré, mature, réfléchi et minimaliste. Il est tout le contraire de Favourite Worst Nightmare. Vous comprenez ainsi que rien ne pouvait me préparer à un changement aussi radical. À l’issue de ma première écoute, j’étais déboussolé, je ne savais pas que penser de ce The Car. L’ensemble m’a paru à la fois intéressant mais à la fois vide. Comme si, à chaque titre, il manquait d’un petit quelque chose pour que je sois séduit… Des mélodies plus accrocheuses ? Un son un peu plus rock et moins lent ? Je ne savais pas. Je me suis alors décidé à réécouter l’album pour en faire une nouvelle analyse. Puis, je l’ai ré-réécouté. Et ré-ré-réécouté. Et ré-ré-ré-réécouté. Et c’est à ce moment que j’ai réalisé… Je commençais à aimer The Car.Depuis ce jour, ma passion pour cet album n’a jamais cessé de grandir. Il ne s’est pas écoulé pas un seul jour sans que j’y pense. La moindre subtilité dans les mélodies, les rythmes ou les paroles me captive. J’ai appris à aimer chacun des dix morceaux de cet album… La chanson-titre The Car qui, à chaque écoute, me transporte dans un voyage en voiture rythmé par la batterie de Matt Helders. Le mélancolique There’d Better Be A Mirrorball et son violon submergeant. Big Ideas et son aura tragique. L’audacieux Hello You et sa montée en puissance au troisième couplet. I Ain’t Quite Where I Think I Am et le fameux « ouah » sur son refrain. Sculptures of Anything Goes, à l’atmosphère ténébreuse. Mr Schwartz  et la beauté indescriptible de sa mélodie. Et Perfect Sense qui clos le bal en beauté. Pas de couplet, pas de pont. 2 minutes 48 de pur bonheur où l’on semble être en paix avec soi-même et avec le monde… J’arriverais presque à en verser une larme.

Vous l’aurez compris : The Car est un album important pour moi. Alors qu’à la première écoute, il semblait être l’une de mes déceptions de l’année, une étrange passion pour celui-ci s’est emparée de moi…Évidemment, il reste parfaitement normal et logique que cet album ne plaise pas à tout le monde. Ce virage entrepris par les Monkeys est tellement radical et brutal qu’il devait nous faire chavirer. Toutefois, The Car ne cale et ne dérape jamais. Il suit simplement une trajectoire différente pour nous conduire vers un nouvel horizon où les Arctic Monkeys sont encore et toujours des musiciens accomplis. 

Note : 18/20 (Exceptionnel)