The Polite Force
7.3
The Polite Force

Album de Egg (1971)

La musique est langage / écrire sans mots.

Force Tranquille

Par analogie, la dissection d'un album peut être assimilé à la lecture critique d'un texte littéraire ou philosophique. L'on se concentre sur le langage, les apories, les oublis, les figures de style, le style de manière plus générale, les articulations du texte, ses mouvements, la construction de son idée, les dialogues entre les personnages, la description du paysage, le contexte... La complexité d'un texte tient à la complexité de son langage. Mais, utiliser un langage complexe ne signifie pas savoir l'utiliser correctement. Tenez, l'on peut prendre chaque mot de plus de trois syllabes, et construire une phrase complexe mais vide de sens. La musique peut être comparée à la littérature. Si certains albums sont plus enclins à être écrits par Bruno Lemaire ou bien Guillaume Musso, d'autres sont écrits par Virginia Woolf et James Joyce. The Polite Force d'Egg, je l'assimile aux "Vagues" de Virginia Woolf, ou tout autre auteur prenant le parti-pris du "Stream of Consciousness", l'écriture au fil de la pensée. Egg écrit les morceaux pendant le jeu, sans que l'on s'en aperçoive. Pourquoi les auteurs du Stream of Consciousness sont peu à avoir acquis une véritable notoriété ? Car ils ne maîtrisaient pas le langage parfaitement. Egg maîtrise un langage qu'il aurait lui-même créé, un style relativement nouveau mis sous une perspective nouvelle, un code a apprivoiser, un texte en flux tendu et continu. Chaque piste constitue un chapitre distinct, écrit dans un style qui lui est propre. Tout y est chaotique, ordonné et désordonné en permanence. Dès lors, à l'instant où l'on se repose, que l'on croît être posé, le tapis est tiré sous nos pied, en permanence. Ne jamais ennuyer l'auditeur, le surprendre constamment, retenir son attention jusqu'au bout, c'est ainsi que s'écrit le texte d'Egg, s'écrit et se partage entre trois auteurs, chacun apportant sa rime et son rythme.


Science du langage, science du mouvement

La première chose qui frappe lorsque l'on lance l'album, c'est cette introduction. Puissante, violente, lourde, elle annonce un album particulièrement intense, riche, profond et qui souhaite nous en mettre plein les oreilles. Pour moi, le véritable coup de génie de l'album, ce n'est pas cette introduction que tout le monde encense, à raison, mais la suite. 30 secondes lourdes, suivies d'un seul coup d'une légèreté, d'une plume qui vient nous caresser et nous dire "ne t'inquiètes pas, ça va bien se passer". L'album veut nous prendre constamment a revers, une force "polie" qui nous met un coup de poing pour mieux nous embrasser derrière. Le son nous transperce et nous caresse, nous violente puis nous cajole, c'est ce qui fait qu'on y retourne sans cesse. Nous aimons tous, par différentes manières, être bousculés mais aussi être rassuré, et cette dichotomie constante me fait penser à la construction d'un bon roman, où chaque moment de violence engendre un moment de calme, après la tempête vient le calme, et après le calme...


Après le calme vient Boilk, pièce déroutante, sombre, étrange, glauque mais aussi captivante. Faite de montages, de collages, d'assemblages, le morceau est comme un magnifique cadavre exquis, où le groupe semble se passer la plume ligne après ligne, collages après collage, où rien ne commence ni ne finit véritablement, totalement déconstruite et à la fois faisant sens, comme le train de pensée, les sons sont des mots qui filent à toute allure dans trois esprits qui n'en forment plus qu'un, où s'amalgament plusieurs consciences fluctuantes sans cesse avec un seul objectif, communiquer par la musique.

La musique est un langage, l'apanage d'un bon morceau, d'un bon musicien, c'est de savoir discuter avec l'autre, de savoir quant il faut mieux se taire, changer de discussion, de mot, de phrase... C'est ainsi qu'Egg construit tout ces morceaux, sur un dialogue constant, mais pas un dialogue où chacun souhaite affirmer sa position en étant plus fort que l'autre, mais un débat construit, où les idées se répercutent pour en former une plus grande.

La musique est une langue, et egg joue avec elle d'une si belle manière, que c'est un album que je réécouterais sans cesse.

Zoan
9
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le 3 juin 2023

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Zoan

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