The Turn
6.6
The Turn

Album de Fredo Viola (2009)

« On me dit que ce que je fais est entre les Beach Boys et Sigur Rós », avance, un peu sceptique et surtout surpris, l'étonnant chanteur-vidéaste, aussi inclassable qu'accessible, Fredo Viola. L'appréciation est pourtant plutôt assez juste, pour peu qu'on en retienne avant tout la préposition « entre ». Car ce musicien italo-américain qui a grandi à Londres est loin de s'essayer, comme tant de ses contemporains, à faire du Brian Wilson en moins bien. Pas plus qu'il ne cherche à embrouiller son monde avec du sublime n'importe quoi. The Turn est tout simplement l'album expérimental le plus immédiatement pop - comprenez par là séduisant, euphorisant et reposant - entendu depuis longtemps. Depuis Before and after science, le chef-d'oeuvre de Brian Eno de 1977, en fait. Carrément. Le lien est même assez évident. Comme l'Anglais aux multiples talents, Viola, homme de textures, d'atmosphères et d'images sensorielles, est un amoureux éperdu de la voix humaine, un garçon autrement plus sensible à l'extase vocale du doo wop qu'au rythme frénétique du rock'n'roll. The Turn s'écoute comme une délicieuse symphonie pop a capella, enrichie d'un délicat manteau d'arran­­gements électro, la machine ne servant ici qu'à magnifier la pureté du chant et, accessoirement, la poésie absurde ou l'humour du propos. On pense aussi, en moins chiche, à l'équilibre réalisé autrefois par Vince Clarke et Alison Moyet dans Yazoo, où la chaleur soul de la chanteuse irradiait dans son écrin synthétique. Autant dire que le premier album de Fredo Viola est un disque rare. Qui ne demande qu'à devenir une oeuvre phare.(Télérama)


Le calendrier est moqueur : c’est dans ce numéro best-of de 2008 qu’on chronique en avant-première le grand disque de 2009. Comme Radiohead, Bloc Party ou The Raconteurs, le songwriter Fredo Viola a en effet suivi la tendance en publiant en deux temps son album The Turn. Avant ce qu’il est désormais convenu d’appeler sa sortie physique, prévue pour le premier trimestre de l’année prochaine, voici donc ce premier album dévoilé sous sa forme digitale quelques jours avant noël – douze morceaux certes virtuels, mais qui méritent d’emblée leur place sous tous les sapins du monde. Car la flamme que laisse deviner les premières écoutes de ces folk-songs sans étiquettes promet d’être olympique : Fredo Viola, derrière son drôle de patronyme, n’est rien de moins que le nouveau Sufjan Stevens. Soit un compositeur hors-pair, initialement passionné de cinéma et d’images (le jeune homme gagne sa vie en réalisant des publicités pour l’Oréal), de montages vidéos et de collages visuels (voir son époustouflant site internet, ainsi que les huit travaux graphiques que réunit par ailleurs The Turn). Et qui chante aujourd’hui comme tous les Choristes réunis, mais en beau. Car il a beau être seul, Viola chante comme une chorale, et ce, dès le premier morceau, un époustouflant The Sad Song qui nous fait perdre nos qualificatifs en trois minutes : on pense à un trésor caché de Sígur Ros enregistré dans le désert de Namibie, à la fonte des glaces déplorée par Thom Yorke, à un générique de film à vous faire chialer dans le pop-corn. A la fois traditionnelle et bricolée, la musique de Fredo Viola se révèle aussi rétro et futuriste – si Red States n’aurait pas détonné sur le chef d’œuvre Smile des Beach Boys, The Original Man pourrait émaner du cerveau déjanté de Kevin Barnes d’Of Montreal – et nul ne s’étonnera d’apprendre le béguin de Massive Attack pour ces chansons à couchettes. Celui qui avoue s’être “passionné pour les compositeurs russes de musiques assez sombres…” agence ici la nouvelle bande originale de la nuit, boudant cependant les schémas classiques (sur Ether, Viola est accompagné d’un violoniste 6 six ans). Et offre dès aujourd’hui un suffixe à son disque : The Turn n’est ni plus ni moins qu’un tour de maître.(Inrocks)
Petit détour par l’habillage, parlons chiffons : il y a quelque chose de tout à fait irritant dans la façon dont Fredo Viola se présente à nous, dans ce mélange de posture, de pose et de marketing esthétisant. Voyez comme je suis singulier, oyez cette audace musicale, admirez ces visuels baroques et chatoyants, étonnez-vous car je suis le mystère des voix bulgares à moi seul et je le prouve, je le filme. Sur ses vidéos, qui extasient la blogosphère depuis quelque temps et accompagnent en DVD ce premier album, le jeune Américain apparaît en split-screen, filmé autant de fois qu’il y a de couches dans ses mille-feuilles sonores. Une prise, une ligne de chant. Le petit effet de sidération visuelle passé, on se dit que c’est juste comme ça qu’on enregistre des disques en studio depuis le milieu du XXe siècle : le plus souvent prise par prise, piste par piste, instrument par instrument. Ces images insistent hélas sur le côté laborieux et faussement expérimental de l’entreprise. Restons plutôt concentrés sur ce que The Turn a à offrir en chansons, c’est suffisant. Car souvent Fredo Viola sonne comme les Beach Boys à lui tout seul, réactivant les constructions un peu tordues mais limpides et mélodieuses de Pet Sounds (1966) et surtout Smile. Cascades d’harmonies vocales, chant acrobatique, synthétiseurs, guitare très discrète, solide rythmique, flûte et xylophone propulsent une demi-douzaine de chansons au firmament de la pop baroque. Friendship Is, Red States, Risa, Robinson Crusoe et Puss sont des petits joyaux à réécouter inlassablement, précieux parce que l’Américain s’y montre humble et fidèle à une écriture pop simple et structurée. Mais quand il enveloppe sa voix d’un halo sacré ou surligne ses intentions novatrices, le chanteur perd un peu les pédales et vire pédant : pour une réussite touchante (The Sad Song, pourtant à la limite de l’emphase), il faut subir des onomatopées pipeau et des dérapages vers une sorte de rock progressif pompeux. Et là attention, c’est Fredo, les griffes de l’ennui. (Magic)
Un peu comme partout, débarquer dans le monde de la musique avec un CV flatteur ouvre des portes. Ainsi, c'est avec pas mal de bienveillance qu'on a vu arriver Fredo Viola, sans doute parce qu'il s'était déjà fait remarquer pour son travail de vidéaste. Mais s'il faut éviter de faire preuve d'une méfiance excessive, on est en droit de se demander si exceller dans un domaine est garant de réussite dans un autre. Le premier EP sorti en fin d'année dernière avait apporté quelques réponses, mais l'album restant l'étalon par excellence, c'est avec "The turn" qu'on peut réellement prendre la mesure de Fredo Viola. L'entrée en matière de cet album est, il faut bien l'avouer, à couper le souffle : sur The turn (a pagan lament), les voix font pour ainsi dire tout, et c'est magnifique. Un peu comme chez les Fleet foxes ou DM Stith, les voix redeviennent de véritables instruments, et quand elles brodent sur une mélodie aussi pure, c'est un régal. Un régal qui se prolonge sur le déjà connu The sad song, à la solennité presque religieuse, où l'on pense aux plus beaux moments de Sigur Rós, autres maîtres des chants venus d'ailleurs. Mais après une ouverture aussi stratosphérique, il faut réussir à se maintenir au sommet, ou bien réussir à atterrir en beauté. Friendship is... opte pour la seconde option et assure une transition assez réussie grâce à sa mélodie et son synthé ludiques. En revanche, la suite démontre que passer l'épreuve du format long n'est pas chose aisée. Sur les trois morceaux suivants, Fredo Viola s'emmêle les crayons en brodant sur des canevas sonores qui voudraient rester aériens, où se mêlent toutes sortes de gimmicks, mais tournent un peu en rond entre pop et jazz (The original man), et il faut attendre Robinson Crusoe pour retrouver une mélodie bien troussée. Mais c'est une nouvelle fois lorsqu'il laisse de côté ses bidouillages pour soigner des arrangements minimalistes et se concentrer sur la voix qu'il convainc avec Death of a son et Umbrellas,  le reste de l'album étant un peu anecdotique. En conclusion, oui, Fredo Viola est une révélation, car les sommets de "The turn" ne risquent pas de passer inaperçus. Non, "The turn" n'est pas un grand album, mais un album qui contient deux perles et une petite poignée d'autres titres réussis. Il a donc posé quelques beaux jalons, mais son œuvre reste à écrire. Patience. (indiepoprock)
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le 26 févr. 2022

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