Interpol, quel nom évocateur. On pourrait se demander pourquoi. Pourquoi un nom pareil pour un gang musical ? Tout d’abord New York, véritable cinquième membre de ce quatuor. La musique prend instantanément, dès la première écoute des morceaux, l’allure des allées froides des rues bordées de buildings métalliques. De manière plus abrupte, est-il anodin qu’Interpol se soit revêtu du nom de l’organisation internationale chargée de promouvoir la coopération policière et d’exfiltrer des individus dont la dangerosité outrepasse les frontières ? En chantre de la scène revival post-punk du début du XXIe siècle, Interpol incarne un monde en évolution, plus encore, il lui livre une vibrante réponse.


Le mouvement revival post-punk, quel nom évocateur. Bon rat des villes, Interpol reproduit avec justesse la froideur des mégalopoles comme l’avaient déjà traduit des monuments de la cold wave, à l’instar de Siouxsie and the Banshees, Echo and the Bunnymen ou Joy Division. On saurait reconnaître les enfants du prodigieux Paul Hook, bassiste de la dernière formation mentionnée, entre mille. « PDA » relate sans problèmes les accointances de Carlos Dangler, la basse transportant une vibrante ligne mélodique. Les morceaux s’écoulant laissent place à un rock alternatif géométrique, parfaitement maîtrisé et admirablement équilibré entre chaque instrument. Architecture new-yorkaise. De son côté, Paul Banks assure un chant en tout point caractéristique. D’une voix nasillarde impeccablement exploitée, le frontman saurait arracher une larme à Wall Street. Ici est constituée la force inexpugnable du quatuor.


La correspondance entre costards et punks est-elle réalisable ? Interpol offre une entrevue émouvante sur une traduction possible du romantisme punk à l’ère de la modernité et d’une entrée mondiale dans le système capitaliste. Empreintes d’une colère dépressive, les stridents élans de guitare pourraient retranscrire l’éruption des employés de bureaux, empoignant leurs ordinateurs chargés de chiffres et les écrasant à terre à l’image du Clash Paul Simonon écrasant sa Fender Precision Bass sur la scène. En parallèle, Interpol interprète en musique le profond malaise de cette modernité omnipotente et qui sème la couardise de l’affronter. « Turn On The Bright Lights » vient défier le monstre glacé avec un romantisme de très bonne facture. Loin de vouloir rajouter de la couleur dans le paysage, Interpol distille un irréalisme en noir et blanc, asthénique et déprimant. Pour autant, une brûlure vigoureuse prend forme à l’écoute de « Untitled », « Hands Away » ou autre « Roland ». Dès lors, est-il étonnant que cet album figure parmi l’un des tous meilleurs de l’année 2002 pour de multiples observateurs, dans des Etats-Unis et un New York qui se relèvent difficilement des attentats du World Trade Center ? Comme l’organisation éponyme, les New-Yorkais traquent sans relâche les éléments de turbulence au sein d’un monde qui semble lâcher progressivement prise dans sa complexité. Certains les traduisent au tribunal, certains les traduisent avec brio en musique.

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le 17 janv. 2019

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