Visiter
7.3
Visiter

Album de The Dodos (2008)

Les affreux bûchers de Salem n’ont donc, finalement, pas définitivement eu raison de la sorcellerie nord-américaine. Animal Collective, MGMT, Born Ruffians, et désormais les deux Californiens de The Dodos : des groupes sorciers mais des groupes modernes, qui refont du neuf avec du séculaire, les pieds enracinés dans les poussières éternelles mais l’horizon portant loin vers le futur. De tous ceux-là, les San-Franciscains The Dodos sont peut-être les plus frappants, voire les plus géniaux. Car leur premier album, Visiter, est une perfection, de bout en bout – la définition même de l’équilibre. Un folk sorcier et effrayant, mais également une pop d’Halloween, grimée, joueuse et rigolarde. Pour les petits et les grands, pour la masse et pour les nerds : à la fois, dans le même objet et dans un même souffle, la puissance grandiose et épique d’Arcade Fire (le petit tube Fools) et les torsions dingo d’Animal Collective (la magnifique Red and Purple, les cavalcades de Jody).
Le sens de l’orientation est absent du vocabulaire, pourtant d’une richesse de Midas, des Dodos. Car les morceaux de Visiter ne savent jamais tenir une ligne trop droite : ils se doublent, se dédoublent, mutent, s’enchevêtrent dans de nouvelles harmonies, s’attaquent en permanence, mais sans douleur, à de nouvelles terres, s’enfoncent dans de nouveaux délires orgiaques. Des rythmiques tribales et des batteries bornées se frottent au raffinement ultracivilisé, lui, de mélodies affolantes de beauté. De  l’acoustique sèche et bouleversante (Ashley ou l’amplitude de Winter) affronte un blues électrique comme un mauvais soir d’orage ou comme un Black Keys sous amphétamines, tel le finale à rebrousse-poil de Joe’s Waltz, l’un des plus incroyables morceaux de Visiter. Qui, de toute façon, ne compte que des morceaux incroyables.(Inrocks)
Les Dodos manient leur acoustique comme l’amoureux maudit ressasse ses tourments. Condamné mais doté d’une inlassable envie d’en découdre, l’âme ballante et enserrée entre une joie insensée nourrie par l’espoir illusoire et la tristesse insondable née des réalités. Avec la même intimité solaire qu’Elliott Smith sur son album éponyme de 1995, avec une intensité poignante identique à celle exhalée par Sufjan Stevens sur Michigan (2003), les San Franciscains Meric Long et Logan Kroeber parviennent à tisser au fil de mélodies inventives et aventureuses une toile de cordes enfiévrées, taciturnes et indomptables. Les doigts du premier semblent se démultiplier à mesure que ses paroles le dénudent, quand les battements primaires du second impriment à ses confessions en arpèges un caractère fauve, brutal et inédit. Paroxysmes débranchés d’anthologie, Joe’s Waltz ou l’incroyable The Season, avec leurs accords matraqués jusqu’aux pires saignements, condensent infiniment plus de rage que n’importe quelle armée de renégats dévoués à l’électricité la plus crasse. À l’inverse, les ritournelles Park Song, Ashley ou Undeclared, belles et touchantes comme un visage éclairé de larmes, déterrent du néant des trésors de tendresse et de compassion. Les singles Red And Purple ou Fools prônent, eux, une épilepsie rythmique animale et contagieuse, toujours portée par ce chant dédoublé d’une claire douceur. Alliant l’introspection et la minutie folk des plus illustres songwriters à la propension psyché et fureteuse des descendants d’Animal Collective, Visiter est un miracle de dénuement, une ode acoustique passionnée et passionnante, un cri d’orfèvres. Bénis soient les maudits. (Magic)
Nouvelle ramification de la branche "primitiviste", qui a bien poussé depuis la bouture Animal Collective, les Dodos suscitent une interrogation : qu'est-ce qui conduit à chérir cet album plus que d'autres ?On y retrouve bien sûr quelques caractéristiques de la marque de fabrique AC (du moins dans son versant le plus naturaliste) : folk brinquebalant, chœurs oscillant entre tyrolienne ("Fools") et danse du scalp ("The Season"), percussions tribales (un peu partout)... D'aucuns citent également la fluidité mélodique de Sufjan Stevens, ou vont même se retourner jusque vers les instants les plus blues de Led Zeppelin ("Paint the Rust", la furieuse seconde partie de "Joe's Waltz). Et c'est vrai qu'à l'instar de la betterave dans certains tord-boyaux, on peut dire : "il y en a aussi". Mais s'ils savent faire preuve d'une certaine sophistication, Logan Kroeber et Meric Long ont par ailleurs aussi le bon goût de ne pas trop se regarder composer, en misant autant sur une fraîcheur et une énergie salutaires. Une certaine façon de ne pas forcer sur les cuissons pour préserver la saveur originelle du produit, si l'on ose dire. Enthousiasmante parce qu'enthousiaste, leur manière brute sonne ainsi vraie, et non pas comme un simple effet de style. Même quelques morceaux interludes, dispensables à première vue, jouent aussi leur rôle en accentuant cette impression d'artisanat un peu naïf.Et avec un peu de recul, on est frappé aussi par le nombre de candidat qui se bousculent pour le titre de chanson favorite, avec une compétition serrée et indécise. J'y suis entré par "Ashley" et sa ligne mélodique bouleversante. Pour peu qu’une personne du nom d’Ashley ait été un jour chère à votre coeur, cette chanson vous le remplira (le coeur) durant toute une saison. "The Season", justement, monumentale et géniale construction, où une mélodie étrange mais prenante serpente vers un maelström de percussions déchaînées et de guitares pourtant acoustiques (à écouter très fort !). A peine le temps d'être euphorisé par un entrainant "Fools", que "Joe's Waltz" vous trimballe du mid-west aux bayous les plus glauques. "Undeclared", touchante et directe, n'aurait pas déparé chez les Moldy Peaches. Même le plus rustaud "Jodi", à travers lequel j'étais passé au début, a fini par me convaincre. A chacun donc de faire son choix avec bonheur, histoire de goûter à une des plus réjouissantes séances d'hésitation de l'année.(Popnews)


Dodo (n.m.) : grosse dinde pataude, incapable de voler et pas très maligne ; The Dodos auraient difficilement pu choisir totem moins judicieux tant leur musique est aérienne, gracieuse et subtile.Pour leur deuxième album (le premier à atteindre nos contrées), The Dodos, armés essentiellement d'une batterie et d'une guitare sèche, nous proposent un des voyages les plus fascinants de l’année ; si la ballade d’ouverture, bien que charmante, semble naviguer en terrain connu, Red and Purple se charge par la suite de la dynamiter et de brouiller les pistes avec audace dans un déluge de percussions. La rythmique, capable de finesse autant que de frénésie, s'affirme rapidement comme l’un des grands points forts du duo. Les morceaux les plus épiques de l’album profitent pleinement de cette impressionnante ossature, mais le chant, habité et sobre, et la guitare savent également leur donner de la densité et de l’épaisseur, nos deux oiseaux ne se privant pas d’orner le tout de divers arrangements, tout en subtilité.En se permettant de changer perpétuellement d’ambiance le groupe impressionne et surprend constamment : comptine hédoniste, country psychédélique voire une valse sombrant progressivement dans la folie ; le groupe ose tout et le réussit. Le sommet émotionnel est atteint sur l’enchaînement du plus apaisé Ashley, sublimé, comme quelques autres morceaux, par une voix féminine, et de l’intense The Season, semblant réduire sans se forcer du Animal Collective à l’essentiel (la comparaison avec ce groupe revenant plusieurs fois à l’esprit le long de l’album). Le voyage se referme sur le prometteur God ? avec lequel le groupe semble vouloir défier Arcade Fire sur son propre terrain, celui d’un rock ambitieux et transformiste. A la première écoute, l’album peut paraître un peu long : une heure aussi dense et riche en propositions, ça vous éprouve un auditeur. Mais très vite on en redemande, on fait mine de ne pas voir cette odieuse pochette et on reprend du début l’écoute de cet album, sérieux prétendant aux plus hautes marches des référendums de fin d’année. Il reste une chose à espérer : que les Dodos ne soient pas près de disparaître. (indiepoprock)
bisca
7
Écrit par

Créée

le 22 mars 2022

Critique lue 1 fois

bisca

Écrit par

Critique lue 1 fois

D'autres avis sur Visiter

Visiter
bisca
7

Critique de Visiter par bisca

Les affreux bûchers de Salem n’ont donc, finalement, pas définitivement eu raison de la sorcellerie nord-américaine. Animal Collective, MGMT, Born Ruffians, et désormais les deux Californiens de The...

le 22 mars 2022

Visiter
EricDebarnot
5

Grande intelligence, mais...

En 2008 (et depuis quelques années sans doute), c'est sans doute sur la planète "folk" que se pratiquent les expérimentations les plus folles de la galaxie rock, et ce n'est pas rien d'écouter les...

le 26 févr. 2015

Du même critique

Le Moujik et sa femme
bisca
7

Critique de Le Moujik et sa femme par bisca

Avec le temps, on a fini par préférer ses interviews à ses albums, ses albums à ses concerts et ses concerts à ses albums live. Et on ne croit plus, non plus, tout ce qu'il débite. On a pris sa...

le 5 avr. 2022

3 j'aime

Santa Monica ’72 (Live)
bisca
7

Critique de Santa Monica ’72 (Live) par bisca

Ça commence avec la voix du type de KMET, la radio de Santa Monica qui enregistre et diffuse ce concert de Bowie, le 20 octobre 1972. « Allez hop on va rejoindre David Bowie qui commence son concert...

le 27 févr. 2022

3 j'aime

Taormina
bisca
7

Critique de Taormina par bisca

Taormina, perle de la Méditerranée, disent les guides touristiques à propos de cette belle endormie sicilienne, bordée par le volcan Etna. Taormina, perle noire dans la discographie de Murat, dira la...

le 5 avr. 2022

2 j'aime