Warriors of the World
6.4
Warriors of the World

Album de Manowar (2002)

C’était en février 2008. J’allais sur mes dix-neuf ans, et ma vie était pourrie. Déscolarisé, sans le sou, repoussé par l’autre sexe et avec le seul bac ES en poche, je me grisais de l’opiniâtre oisiveté qui dirigeait mon quotidien. Les mois de juin, juillet et août de l’année précédente, je pus profiter de mon statut de personne majeure pour travailler dans un camping, et le salaire qui en découla fut en partie dépensé pour acquérir un objet saint : un ordinateur portable. Délesté de toute envie de poursuivre les études, j’explorais ma paresse en cumulant les nuits blanches passées à surfer sur la toile. L’habitude de dormir le jour s’installa vite, et je me sentais à l’aise qu’une fois le soleil couché.
Que faire sur internet ? Eh bien écouter de la musique, que je me faisais livrer par l’intermédiaire d’une célèbre mule. Mon site de référence, c’était Nightfall in Metal Earth, une véritable mine d’or pour les passionnés de hard rock et ses dérivés. J’ai passé un temps incalculable à fureter ce site, à dévorer nombre de chroniques, à me renseigner au sujet de groupes que je connaissais, où dont j’ignorais l’existence. S’il y a une caractéristique qui pouvait regarder ma paresse dans les yeux, c’était ma curiosité. Ma curiosité faisait même facilement taire ma paresse, qui, pour une fois, refusait de se manifester.

L’ancien habillage du site Nightfall était doté de vignettes. Ces vignettes ornaient la partie haute de la page du site, on ne pouvait pas les rater. De plus, c’étaient des représentations miniatures de pochettes d’album assez tape-à-œil, nos prunelles ne pouvaient faire autrement que de s’y attarder. Je me souviens d’un visage d’enfant moribond maquillé à l’amazonienne, d’une figure de squelette violacée assez menaçante, d’une tête encapuchonnée sans visage, du visage d’une statue grecque mouillé de larmes, et bien d’autres encore. Une nuit de février, la nuit du SuperBowl, mes pupilles lorgnent sur une espèce de gaillard sans visage et au torse exagérément musclé. Le fond de cette vignette était orange feu. Je clique dessus, et cela me renvoie à la chronique de l’album Kings of Metal, d’un groupe nommé Manowar.
Les chroniques à propos des albums de ce groupe mentionnaient la notoriété immense du quatuor au sein de la communauté des amateurs de metal. Pourtant, malgré mes (maigres) connaissances, je n’avais jamais entendu parler d’eux, ni lu la moindre ligne à leur sujet. Bon, ma curiosité prit rapidement les commandes. En quelques clics, j’invoquai la mule et lui parlai de Manowar. Elle me proposa une chanson, nommé Warriors of the World United, disponible en quelques minutes. Une chanson, c’est un peu léger pour se faire un avis. Qu’importe, on va commencer par ça, si ça ne me fait pas sauter au plafond, alors je la laisserai végéter sur mon disque dur, et un jour, peut-être je m’intéresserai de nouveau à ces Manowar.
Je lisais une énième chronique sur Nightfall quand la mule me déconcentra pour me notifier la bonne réception de ma commande. Bon, voilà Manowar. Ma curiosité s’active, je me demande à quoi ressemble les musiques de ce groupe.

Je fais grâce de l’émotion ressentie, car mes écrits sur le groupe la légitimeront. Je vais juste mentionner le sentiment de plénitude béate qui m’a envahi ce soir-là, de manière inoubliable. Il faut savoir qu’au moment de l’écoute, j’étais lié contractuellement à une entreprise. J’avais du travail et je me sentais moins inutile. Comme mentionné plus haut, je me trouvais dans une période où j’avais honte d’exister, mon statut de parasite indigent dont les tentatives de conquêtes féminines étaient opiniâtrement refoulées me faisait envisager le suicide. L’écoute de Warriors of the World United, a fortiori de Manowar, m’a plongé dans un bien-être inédit. C’était une nuit vers une heure du matin, et je travaillais le lendemain, en horaires d’après-midi. Alors que, rendu accro à la chanson, j’en multipliais les écoutes avec la télé allumée en fond, je vis une annonce pour le SuperBowl. Un fragment de secondes déposa un sceau d’inviolabilité dans ma mémoire. Rien que le fait de me dire, je vais regarder le SuperBowl, en écoutant en boucle une chanson qui me procure un effet encore inouï, en sachant que je vais travailler le lendemain, m’arracha des griffes de la dépression pour m’emporter au Nirvana. C’est con, parce que, n’étant pas un aliéné américanoïde, je me fiche totalement du SuperBowl, mais sur le moment, j’étais tellement content de ma situation que cet évènement sportif contribua à ma joie totale. Ma sainte curiosité ne put se rassasier d’informations à propos de Manowar, je voulais tout savoir et tout écouter sur ce groupe ! Qui sait, me dis-je, peut-être qu’il fera partie de mes groupes préférés…
J’ai écouté Warriors of The World United encore et encore, en bénissant Nightfall et la mule (je les remercie encore). Je l’ai transférée sur mon lecteur mp3 et elle m’accompagna lors de chaque trajet reliant mon domicile à mon lieu de travail, que j’effectuais à pied, avec du Manowar dans les oreilles. Ma curiosité faisant le reste, j’ai pris pour idée de découvrir l’intégralité de la discographie du groupe, sans savoir le bouleversement que ces écoutes allaient générer. Warriors of The World United, que je pensais intouchable, que j’imaginais trôner seule en toisant les autres chansons du quatuor en cuir, se fera aisément dépasser par nombre de ses grandes sœurs. Mais elle restera à jamais la chanson du baptême, et ce statut m’empêche de pouvoir être objectif vis-à-vis d’elle.

Bon, assez tergiversé. Parlons musique. L’album commence avec le puissant Call to Arms. Adams est fatigué, enfin, vieillissant, plutôt. Son timbre commence à être marqué par les années, on sent que ses heures de gloire sont derrière lui. Tout de même, il conserve une très belle voix, qui perd en fougue et gagne en maturité. Comme tout développement humain. Call to Arms sera érigé en hymne par DeMaio, qui a l’air d’apprécier cette œuvre. Il y a de quoi, car elle est efficace, entraînante, énergique. Rythmique implacable quoique redondante, couplets plus parlés que chantés, c’est le refrain qui se taille la part du lion. De concert avec Adams, on tape du pied, on hoche la tête, on chante. Mais, et je vais encore me répéter, rien de transcendant. Entre ce que nous proposait Manowar sur ses six premiers albums et ce qu’ils nous proposent ici, il y a un monde.

Fight for Freedom est niaise, mais moi j’aime bien. Je pense vraiment être totalement biaisé par l’amour que je voue à ce groupe, car je comprendrais toutes les critiques qu’on puisse faire à ce morceau : mollasson, mielleux, nigaud…je sais tout ça, mais ça ne m’empêche pas d’aimer et de chanter comme un connard les paroles puériles du refrain. La définition d’un plaisir coupable. Il faut dire que, pour la énième fois, Adams parvient à sublimer le morceau par sa voix. L’ajout des claviers lors des refrains ad lib qui clôturent la chanson fait office de véritable plus-value. J’aime beaucoup ce côté noble et solennel, même si, objectivement, ajouter des claviers dans cette chanson revient à ajouter du miel sur de la guimauve. Indigestion de sucre, ce n’est pas tout le monde qui peut supporter ça. J’en mange pour faire plaisir à ces pâtissiers en cuir que je chouchoute peut-être un peu trop.

Je pense que l’on a compris à quel point je vénérais Eric Adams et son timbre vocal. Bon, le voilà qu’il s’essaie à un célèbre morceau d’opéra : Nessun Dorma de Puccini. Immortalisé par le géant Pavarotti, ce morceau, à la fin sublime et poignante, correspond à l’idéologie guerrière prônée par le groupe. « À l’aube, je vaincrai ! Je vaincrai !», si l’on me pardonne cette traduction prosaïque, l’idée est là : la dignité, la solennité, l’envie de vaincre. Bon, dans l’opéra, il s’agit de la conquête d’un cœur féminin, non d’une bataille, mais l’analogie peut fonctionner. L’accent italien d’Adams n’est pas parfait, mais il fait ce qu’il peut. Pavarotti le surpasse dans ce genre, mais je ne pense pas que les bougres en cuir avaient pour projet de le dépasser. Il n’y a que très peu de notes heavy metal dans cette reprise, si ce n’est les accords plaqués de guitare électrique disséminés çà et là. Nous sommes très proches de la version originale, si je puis dire. J’aime l’opéra, j’aime Manowar. Cela fonctionne, mais nous n’en ressortons pas grisés.

Valhalla est un court interlude musical wagnérien qui introduit la chanson suivante, Swords in the Wind. Ce n’est qu’au bout de plusieurs écoutes que je me suis vraiment rendu compte de la puissance magistrale de ce morceau. Lors de mes premières écoutes, je ne devais pas être plus attentif que ça. Le morceau est une véritable ode à l’honneur, une apologie dédiée à la gloire de mourir sur le champ de bataille. Sur fond de mythologie nordique, Eric Adams nous conte, avec une magnifique dignité, sa résolution de périr au combat, son courage d’affronter la mort. Une fois les paroles connues et mémorisées, on peut prendre un plaisir immense à chanter de concert avec le groupe. Portés par une intense jouissance, on récite les vers grandioses en hurlant ces paroles pleines d’abnégation et de noblesse et on se laisse griser par la beauté du thème. Un véritable joyau.

An American Trilogy est là pour rendre hommage à la maman d’Adams, décédée, qui aimait beaucoup cette chanson d’Elvis Presley. Comme pour Nessun Dorma, les éléments propres au heavy metal sont très discrets, quelques accords plaqués de guitare électrique à la fin du morceau, symbolisant la montée en puissance du refrain. Agréable à écouter, mais la patte Manowar est absente. Sûrement une volonté du groupe, ce qui prouve de la liberté artistique totale dont ils jouissent et l’absence de velléités coercitives de la part du producteur, qui est pourtant un gros poisson (Nuclear Blast).

L’admiration sans borne du sieur DeMaio pour Richard Wagner commence à être sérieusement tangible. Avec The March, l’auditeur se trouve désarçonné. Les deux premières minutes sont très calmes, comme un prélude pour une ballade ou pour une douce sérénade. Mais dès l’apparition des tambours, toutes ces idées de douceur explosent dans les airs. Grandiloquente, puissante, majestueuse, la symphonie chorale passe par nos esgourdes pour ensuite venir produire une gigantesque déflagration dans tout notre corps et toute notre âme. Putain, quelle claque ! Impossible de ne pas être grisé par cette musique, de ne pas s’imaginer en train de régner sur l’Univers entier en écartant les bras au son de ces instruments pompeux aux timbres ostentatoires. L’influence de la Chevauchée des Valkyries est à peine masquée, elle se ressent vivement à travers les flûtes, les hautbois et le cor anglais. Des chœurs vocaux viennent ensuite apporter de la beauté à la grandeur, le tout soutenu par des cuivres généreusement romanesques. C’est du plaisir musical à l’état pur, cette musique me transcende vraiment, et à chaque écoute je regrette qu’une seule chose : ne pas pouvoir augmenter le volume encore et encore.

Warriors of the World United a été abordée plus haut, sur l’aspect émotionnel et à propos de ce que cette chanson représentera toujours pour moi. Il faut savoir être succinct, une fois n’est pas coutume. La batterie est rudimentaire, la rythmique aussi, la guitare, les paroles, tout est simple, mais terriblement efficace et entraînant. C’est la chanson la plus abordable de Manowar, selon moi, celle que la plèbe profane peut écouter en se disant : « Je n’aime pas le metal, mais ça j’aime bien ! ». Par son côté sommaire mais fédérateur, elle peut se comparer à We Will Rock You de Queen.

Hand of Doom semble appréciée par le célèbre Joey DeMaio, car il utilise l’intro, et ses soli de guitare virevoltants, pour promouvoir les concerts du groupe en vidéo. Je trouve que cette chanson est plutôt poussive, elle ne marque pas les esprits. Pourtant, elle a de l’énergie, le refrain est efficace, Adams chante sans forcer et le plan de guitare qui accompagne le guitare, gros, gras et bourrin, symbolise la puissance destructrice de cette « Main de la mort ». C’est le genre de chanson à propos de laquelle on ne peut faire trop reproches, car les éléments sont là, mais qui ne parvient pas non plus à nous emballer. Les éléments sont là, mais ça ne nous plaît pas, l’inverse d’un plaisir coupable. Encore une fois, Manowar compose et joue sans vraiment forcer, ce qui a pour conséquence d’engendrer une chanson qui se situe très loin de ce qu’ils peuvent proposer.
House of Death est du même acabit, bien que plus pêchue. Eric Adams s’imite très bien dedans : il pousse son grognement rauque dès que possible. Le riff est quand-même bon, énervé et entraînant. Malgré tout, ça tourne vite en rond.

Fight Until We Die, qui clôt l’album, est beaucoup plus poignante. Son tempo rapide, son riff furibond, sa rythmique inébranlable, son chant ravageur et les paroles épiques, nous prennent facilement aux tripes. La raison engourdie par la passion, on chante comme des abrutis et c’est le cœur empli de jouissance interactive que l’on braille notre appartenance aux figures divines de la mythologie nordique. Dieux de l’éclair, du feu et la pluie ! Impossible de laisser Adams chanter ça seul, par son organe vocal et sa fureur, il nous oblige à l’accompagner, et on se prête au jeu en oubliant tout empirisme, au nom de Thor ! Génial morceau. Pour l’anecdote, Eric Adams se met à sonner comme Rob Halford pendant quelques secondes, et deux fois, ce qui est déroutant et marrant. Judasowar ou Manopriest ?! Curieux de savoir ce que donnerait la fusion de ces deux divinités absolues !

Un album qui dénote quelques surprises. Avec Nessun Dorma et An American Trilogy, on explore des sentiers en friche et on en ressort satisfaits. Les chansons oubliables et interchangeables sont là pour nous faire redescendre, mais sans compter sur les inspirations Wagnériennes de DeMaio qui nous transportent vers le Valhalla ! Manowar sait encore jouer du heavy metal de mâle alpha, mais l’exploration artistiques des bougres semblent orienter le groupe vers une nouvelle voie, une voie pleine de Valkyries, à la recherche d’un célèbre anneau, celui du Nibelung…

Ubuesque_jarapaf
7

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le 12 août 2022

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