Bon désolé pour ceux qui attendait une analyse de "la mine d'or de Dick Digger" et autres opus du début de la saga mais j'utilise ce premier tome de l'intégrale pour questionner la dernière image du cow-boy s'éloignant en chantant au soleil couchant.


Notons d'abord que ce principe du départ / soleil couchant / chanson n'est pas consubstantiel à la saga et qu'il n'apparait de manière continue qu'à partir de l'épisode numéro 9 "Des rails sur la prairie" si le principe du départ semble acté dès le début (la fin de "la mine d'or de Dick Digger" le montre s'éloigner au soleil couchant) il n'est pas systématique. Parfois Lucky Luke s'éloigne simplement au sein d'une image de conclusion ("Phil Defer") d'autres fois il est chassé à coup de révolver ("La ruée vers l'or de Buffalo creek") ou conduit le charlatan qu'il traquait en prison ("L'élexir du Docteur Doxey") quand il ne reste pas faire la fête ("Le sosie de Lucky Luke"), dormir dans un lit (histoire courte dans "Rodeo") ou à discuter autours d'un feu de camp ("Lucky Luke et pilule").
Une fois le rituel installé, il ne sera remit en question qu'une seule fois à la fin d' "A l'ombre des derricks" où au lieu de chanter sa ritournelle il s'exclame "a nous le Texas où il n'a pas de pétrole".
On peut remarquer que par delà une apparente immuabilité le départ du héros revêt souvent des sens différents. Si beaucoup de départs sont définitifs certains apparaissent comme des faux départs puisque quittant un lieu à la fin d'une aventure, on le retrouve au même endroit dans les épisodes suivants. Même si ce lieu de résidence ressemble à un non lieu ("nothing gulch") à la géographie imprécise et mouvante. Tantôt sur la route des caravanes pour la Californie ("La caravane") d'autre fois au Texas ("Jesse James"). Il s'assimile à un foyer où il a ses habitudes et ses connaissances. De même les nombreuses missions qu'il remplit pour le compte du gouvernement implique que de nombreuses personnes soit en mesure de le joindre (idem pour les directeurs de pénitenciers qui lui signale les régulières évasions des Dalton). Si certains départs semblent simulés d'autres sont réel et témoigne d'un véritable arrachement du cow-boy à quitter un lieu, comme lorsqu'il regarde longuement le territoire de l'Oklahoma ("La ruée sur l'Oklahoma") ou la petite ville qu'il vient de ressuscité ("La ville fantôme"). On peut se questionner alors sur la raison qui le pousse ainsi à toujours fuir les offres d'accueil qu'on lui fait à chaque fin d'aventure alors qu'à la même période pour les autres héros de série la fin de l'aventure correspond à un retour à la maison (Tintin et Haddock rentrent à Moulinsard, Buck Danny sur son porte avion, Astérix au village, etc.).

On peut se questionner sur le sens que prend ce perpétuel départ de fin d'aventure vers un foyer qui visiblement n'existe pas, ses installations dans des petites bourgades restant provisoires. Il demeure à l'hôtel et n'exerce pas d'activités professionnelles.
On remarque que durant les premières aventures Lucky Luke semble d'essence angélique, il apparait en chantant (non pas sa ritournelle mais un mélodie de type yodel pouvant s'assimiler à un chant céleste) exactement au moment où on a besoin de lui, l'aventure terminé il repart en direction du soleil couchant (sans ritournelle) comme un retour vers une existence éthérée avant de surgir à nouveau quand on aurait à nouveau besoin de lui. Cette dimension angélique du héros s'incarne dans les premières histoires où Lucky Luke apparait comme un héros à la fois destructeur de monstre (il met les frères Pistol en prison et à la fin rebaptise la ville de Desperado city en Justice city "Lucky Luke à Despérado City"). Durant cette période il ne semble jamais être missionné ou même appelé par une autorité quelconque, il apparait et intervient sans même qu'on lui demande vraiment, il semble "envoyé par la providence" (terme qu'on retrouvera souvent tout au long de la saga dans la bouche d'autorité dépassé par les événements sollicitant son aide). Quand capturé par les affreux frères Pistol et sur le point d'être pendu, il est sauvé par un providentiel troupeau de vaches affolés qui a la manière d'un déluge purificateur balaye la foule des bandits et sauve le héros ( "Lucky Luke à Despérado City"). A contrario lorsqu'il ne semble pas appelé et prend l'initiative de déposé (par bonté ou par malice ?) une pépite d'or dans la batée d'un prospecteur endormi, il provoque la catastrophe d'une ruée au répercutions nationales faute qu'il est incapable de réparé et qui le conduit en prison ("La ruée vers l'or de Buffalo Creek"). Initiative malheureuse que Lucky Luke se gardera pour toute le suite de la saga de renouveler désormais quand il n'est pas d'emblée missionné par une autorité supérieur, il prendra soin de se faire longuement sollicité avant d’accepter de s'impliquer (ex: "La Caravane").
Quand le rituel de fin de récit, avec l'épisode "Des rails sur la prairie", s'impose de manière définitive on constate que le héros à déjà perdu une grand part de sa nature angélique :
- L'aventure dure toute un album ce qui implique beaucoup de difficultés qu'il ne peut résoudre seul.
- S'il prend encore l'initiative d'intervenir en il est ensuite missionné par le président du conseil d'administration pour diriger les travaux.
- Même s'il possède encore le pouvoir inné d'accomplir des tâches complexes sans avoir acquis d’apprentissage, il est capable de conduire une locomotive, il doit s'assurer la collaborations des autres et composer avec eux (notamment quand perdus dans le désert les ouvriers veulent boire l'eau de la locomotive). Lucky Luke dans son rôle de héros perd une part importante de sa dimension angélique. Il n'est plus porteur d'une vérité unique et absolu en cessant de tuer les affreux il n'est plus porteur l'instrument d'une justice infaillible et immanente. Il doit au contraire les confier à des institutions humaines qui se révèlent souvent défaillante.
Même s'il conserve une part des pouvoirs que lui conférait sa puissance angélique (rapidité au révolver, non emprise du temps), il n'est plus un destructeur de monstre mais un héros relatif qui pour accomplir sa mission doit composer avec les autres en obtenant leur participation. De rédempteur Lucky Luke devient éducateur ce qui ne va pas difficultés (vu le nombres de fois où notamment il se retrouve en prison).
Le personnage emprunte alors un autre modèle de héroïque plus tragique ressemblant à celui du juif errant, arpentant sans cesse l'ouest (et bien au delà) il doit, à l’instar de Sisyphe poussant son rocher, sans cesse ramener les Dalton en prison, apaiser des guerres indiennes etc. Si il semble ne pas vouloir s'en plaidre, il n'en va pas de même pour Jolly Jumper qui tout au long des aventures ne cesse de rêver du moment où il pourra enfin s'arrêter (l'épisode "Le grand duc" le voit rêver d'ine vie paisible).
P. 27 :
"ça donne envie de se trouver une brave jument et d'avoir des poulains dans une écurie pleine d'avoine et de fourrage..."
Avant de se lamenter à la peu après.
P. 29 :
"Adieu jument, poulain, écurie, fourrage"


Notons au passage que le couple Lucky Luke / Jolly Jumper fonctionne comme une entité unique
- Ils possède l'un et l'autre un nom double à initiale identique, leur nom désigne des qualités sans révélé une véritable identité.
- Quand Lucky Luke se trouve privé de Jolly Jumper il perd l'essentiel de ses pouvoirs y compris ceux non directement associé au cheval. (Le début de "Lucky Luke contre Pat Poker" le voit être complètement infantilisé après qu'on lui ait volé sa monture).


Psychologiquement on peut poser l'hypothèse que le rituel de fin d'aventure incarne le sentiment de perte irréversible que l'enfant éprouve quand en grandissant il quitte l'état fusionnel qu'il entretenait avec sa mère, mère absolue représentant la globalité du monde.


La séparation du héros vis à vis de sa mère qui à défaut d'être représenté s'incarne dans le foyer. Le départ du foyer s'assimile à une perte irrémédiable et insurmontable. Traumatisme de la séparation de la mère que semble illustrer de manière récurrente la chanson de conclusion des aventures.
« I'm poor lonesome cow-boy and a long way from home ». Ritournelle qui exprime à la fois le déchirement de l'arrachement au foyer [« pauvre cow-boy solitaire"] et le désir / espoir plus ou moins chimérique de pouvoir le retrouver [« loin de son foyer »]. Ce désir obsessionnel semble faire écho au désir inconscient du lecteur de retrouver l'état fusionnel préœdipien avec la mère, que les auteurs ont veillé à exprimer sous la forme crypté d'une langue étrangère, semble constituer l'essentiel du ressort psychologique des aventures de Lucky-Luke . Durant ses multiples aventures, Lucky-Luke s'attache à rétablir l'ordre et sauvegarder la justice à la manière d'un enfant puni qui espère ainsi se faire pardonner et pouvoir rentrer à la maison. Le fait que jamais Lucky-Luke n'accepte de s'installer à la fin d'une aventure, et qu'il dédaigne les honneurs qu'on lui offre, est révélateur de cet état régressif. Le cow-boy solitaire, nostalgique de son état préœdipien, ne souhaite pas devenir adulte en fondant un foyer mais retrouver celui dont il a été exclu. Jamais représenté la séparation avec la mère par la loi du père se trouve sous entendu sur le mode de la faute sanction qui génère une culpabilité permanente que le héros cherche à effacer au prix d'exploits fantasmatique.


A partir de la fin des années 60 la saga adopte un ton parodique qui se prend elle-même pour objet de moquerie, le caractère chevaleresque du héros est de plus en plus grandiloquent, son caractère civilisateur se trouve progressivement remis en question.
L'enjeu des aventures perd en importance, le héros se trouve successivement chargé de missions qui confine au ridicule (Faire visiter le far west à une personnalité excentrique « Le Grand Duc », protéger un chien héritier d'une immense fortune « L'héritage de Rantanplan », amener les Dalton chez un psychanalyste « La guérison des Dalton »).

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le 24 janv. 2021

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