Se créer à soi-même des problèmes

Le bourgeois affiché qu'est Talon doit trouver matière à aventures dans cette France des Trente Glorieuses pas encore troublée par le soixante-huitardisme et ses sommations à parfaire le monde (on voit bien aujourd'hui à quel point il y est parvenu...).

Aussi, beaucoup de gags de l'enflé-du-bas prennent-ils leur source dans le quotidien d'une vie individuelle, bourgeoise (bis), individualiste, familiale et attachée à défendre son pré carré, fût-il dérisoire. L'oisiveté manifeste dans laquelle vit Talon le pousse à s'exercer au bombardon, à jouer au golf, à cultiver l'art photographique (gag 116), la peinture (gag 118), et la pâtisserie (gag 117). Il doit faire face à une vague de froid (gag 107), et au représentant de commerce traditionnel (gag 112). Bien entendu, on part en week-end (gag 131).

La présence de son père à la maison est également source de diverses mésaventures (gags 104, 107, 109). On aime bien l'atmosphère vaudevillesque du gag 110. Virgule de Guillemets n'est encore qu'une aristocrate que Talon cherche à éblouir par vanité (gag 113), quoique la honte éprouvée par Virgule aux gags 125 et 162 tend à suggérer que sa relation personnelle avec Talon est de notoriété publique.

Face à Lefuneste, Talon a un comportement bien français : ne pas tolérer le bonheur de son semblable, ce qui n'est pas mal dans un pays qui manifeste en faveur de l'égalité jour et nuit. Le bonheur de Lefuneste le rend malade, de rage ou d'autre chose (gags 106, 111, 114, 122, 126). La violence démesurée des réactions des personnages est une source de comique (gags 112 et 115). Elle traduit un débordement d'énergie de la part de Greg, ce qui peut prendre le visage d'un déluge verbal tel que celui du gag 124.

Comme Talon, les employés du journal "Polite" doivent faire face au mal de cheveux des lendemains de réveillon (gag 108). L'un des thèmes de la profession d'Achille Talon est le risque de se trouver à court d'inspiration (gags 121 et 123).

On regrette que l'album commence par un gag assez faible, où Greg expose avec la verbosité talonienne la raison qui le pousse à mettre un gag en une seule planche en début et en fin du recueil. Artificiel, et peu inattendu. Si l'on lit bien le texte, il est parfaitement logique dans son déroulement, et donc assez peu drôle en dépit des réactions exagérées de Goscinny.

Cela reflète la composition de ces gags à la petite semaine, saisissant toutes les idées dont l'opportunité était offerte à Greg.

Les mécanismes traditionnels du comique sont bien mis en jeu ici, et l'on peut regretter un monde bien révolu où la seule trace de vraie misère sociale est ce clochard du gag 115. Il est vrai que ce type social était formé bien avant l'époque d'Achille Talon.

Les couleurs, d'une crudité audacieuse qui ne ne craint pas des associations jugées inconvenantes aujourd'hui, apportent une luminosité printanière à l'espèce d'allégresse qui parvient à conférer une certaine intemporalité à ces talonneries.