Alabaster
7.1
Alabaster

Manga de Osamu Tezuka (1970)

Pas un, mais deux héros dérangeants !

Osamu Teuzka, c'est comme le cochon, tout est bon. On peut s'attaquer à n'importe quel manga, il y a toujours à prendre. Voici l'édition d'une traduction française en grand format d'un énième manga de Tezuka, mais cette fois par un éditeur moins présent sur le circuit (éditions FLBLB). Le manga fait 485 pages et par ses dimensions les images en jettent tout en restant un objet agréable à tenir en mains et feuilleter. Le gros défaut de cette édition qu'on ne peut passer sous silence, c'est la police de caractères. On dirait des éditeurs acquis à toutes les théories farfelues sur la dyslexie où les jambages seraient une gêne pour certains lecteurs, etc. ? C'est une police de caractères primaire et pauvre, grossière et pas jolie. On dirait que le manga a été tapé sur une machine à écrire économique. Mais bon, absorbé par la lecture, on n'y fait très vite plus attention.
Le héros est un athlète noir américain, victime du racisme, mais cet aspect ne sera pas pleinement présent dans le manga, il s'agit plutôt du prétexte pour introduire à la déchéance du personnage, car une fois transformé en monstre sans peau, le personnage permet un développement sur encore un tout autre plan de la thématique du rejet, et on passe même au rejet de la monstruosité.
En gros, l'athlète a eu la chance de fréquenter un an une femme blanche dont il était amoureux et qui acceptait de parader en sa compagnie en tant qu'il était une gloire nationale. La relation semble avoir été platonique. Le personnage finit par déclarer sa flamme et fait sa demande en mariage, mais il est brutalement rejeté par cette femme qui ne se contente pas de lui dire que cela va lui rendre la vie sociale difficile, mais qui lui dit carrément qu'elle-même détesterait une telle union et trouve cela ridicule. Une bagarre explose, des gens s'interposent, et l'athlète tue quelqu'un sans s'en rendre compte avec ses poings. Il est arrêté, il y a un procès où les avocats soulèvent la question de cette relation. L'athlète reproche à cette femme d'être lâche et insincère, et c'est une piste intéressante que Tezuka n'a pas creusé, mais qu'il aurait pu et dont il crée ici une petite amorce. Toujours est-il que la femme a récupéré toutes ses billes et fait passer l'athlète pour un érotomane, c'est-à-dire quelqu'un qui s'est cru aimer. Peu importe que la femme se soit régulièrement affichée avec lui, outre que de toute façon on ne peut pas décréter l'amour et la poursuite d'une relation au nom du passé, toute la société est acquise à la stratégie de défense de la femme qui dit n'avoir jamais rien éprouvé pour lui et qui le rejette entièrement. Tezuka tenait là un fameux sujet et on peut regretter qu'il n'ait pas traité le sort de l'homme que la fin d'une romance, la fermeture mensongère d'une femme qui veut mentir et une société qui pour la protéger s'accorde à ses mensonges et nie tout le vécu émotionnel d'un homme et renvoie à l'inexistence tout ce qu'il a pourtant réellement partagé sentimentalement, même s'il se leurrait quelque peu sur les sentiments de l'autre, etc. On aurait eu droit à une description de l'impact psychologique, d'autant que cela expliquerait assez commodément l'amplitude des dégâts sur un individu qui finit par rejeter le genre humain. Mais l'histoire commence seulement ensuite. En prison, un autre détenu apprend au héros qu'il peut devenir invisible et faire donc disparaître aux yeux de tous ce qui sert à le discriminer. Un peu naïf, le héros se laisse séduire par ce projet d'invisibilité, mais l'expérience étant douloureuse il en interrompt le processus et seule sa peau est devenue invisible. il est devenu un monstre horrifiant, un être sans peau dont voit les veines à nu, etc.
Il passe alors à un nouveau degré de folie et entre dans un projet de vengeance machiavélique. Il se venge bien évidemment de celle qu'il a aimée, mais il joue avec le rayon qui rend invisible et s'amuse sur les corps des humains ou bien des animaux, créant des monstruosités semblables à lui-même, etc. L'invisibilité permet aussi certains crimes comme le vol, et en plus il a une compétence d'athlète surréaliste, mais indépendante du sujet de l'invisibilité, il peut tirer des cacahuètes avec sa main à une fréquence qui peut tuer ou briser ce qui est en mouvement, sujet peu scientifique et peu crédible mais passons...
Le personnage s'enfonce de manière irrécupérable dans le mal et il veut créer un monde sans beauté ou plutôt un monde où la beauté sera redéfinie selon de nouveaux critères suite à ses créations horribles qui vont se répandre sur la planète, surtout qu'il joue aussi à créer des êtres invisibles ou plus exactement il spécule sur le fait que les gens qui ont été touchés par le rayon ne sont pas invisibles mais tendent à donner naissance à des êtres qui deviennent rapidement complètement invisibles, et c'est le cas de la fille du docteur qui lui a fait jouir de cette invention, fille qu'il a en charge de retrouver pour veiller sur elle, fille qu'il va enlever à une famille où elle si bien intégrée pour en faire une criminelle.
Et on s'aperçoit bien vite que malgré son titre le manga a plutôt pour personnage principal cette fille qui, elle, est née avec l'invisibilité et en souffre, car alors qu'Alabaster cherchait l'invisibilité comme une solution elle elle souffre de discriminations. Il faut dire que pour ne pas être repérée elle est entièrement couverte de poudre et c'est cette poudre qui lui attire des ennuis.
Or, cette fille croise un voyou qui la pousse dans la voie du crime alors qu'elle y semble parfaitement étrangère, et Alabaster va ensuite prendre le relais. Et là où l'histoire devient fascinante, c'est qu'on voit cette fille aggraver son cas, pendant que son ancien frère reste quelqu'un de modèle et surtout pendant que le voyou initial se révolte en son for intérieur, est dégoûté par l'inhumanité des actions d'Alabaster et la folie de son projet. Et il faut vous laisser arriver à la conclusion de toute cette histoire pour l'héroïne avec la poésie saisissante des deux dernières pages, poésie qui passe par le discours du frère qui donne son point de vue.
Ce manga Alabaster date de 1970 et c'est à l'évidence une œuvre de transition. Tezuka a déjà publié une oeuvre de fantaisie caricaturale avec une certaine horreur macabre mais sur un ton humoristique continu avec Debout l'humanité, il a déjà amorcé l'élaboration de manga pour enfants plus sombres comme Vampires, mais Alabaster, histoire édifiante où les deux principaux personnages s'adonnent au Mal, l'un l'incarnant, l'autre y basculant sévèrement, c'est ce qui prépare la suite des grands mangas pour adultes aux histoires pleines de violence : MW, Kirhito et Ayako. C'est à peine si Alabaster correspond encore à un manga pour les plus jeunes, car s'il en épouse le style, la forme du récit, les personnages sont sacrément dérangeants, autant que dans MW, et surtout l'ambiguïté de l'héroïne pose problème. L'érotisme a une certaine présence dans cette oeuvre et on voit que se mettent bien en place les obsessions de l'auteur dans ces mangas pour adultes. On a aussi une énième sur la transformation monstrueuse des corps. On sait que Dororo et Astro sont pensés en fonction de Pinocchio et on pourrait élargir l'allusion en parlant de la créature de Frankenstein, même si Dororo et Astro sont des héros gentils. Les préoccupations de médecin, en liaison avec la formation professionnelle initiale de Tezuka, sont dans Black Jack, mais aussi dans Kirihito où là encore on va avoir un grand développement sur la métamorphose monstrueuse de corps humains qui deviennent des phénomènes voués au rejet ou au cirque. Finalement, Alabaster correspond à un manga assez central parmi les grandes préoccupations thématiques constantes de Tezuka.
Le manga est composé de dix chapitres, chaque chapitre est lancé par une page avec un grand dessin esthétique. La succession des pages 11 à 12, où il faut tourner la page est saisissante. Le traitement visuel de l'héroïne est splendide, seuls ses yeux quand ils sont ouverts ne sont pas invisibles et il y a toute une façon de faire sentir sa présence dans les cases. On a droit à un bestiaire macabre d'animaux vivants en cage transformés par Alabaster. Le traitement des images demeure lié à une époque pré-gekiga très cartoonesque, avec des distributions des personnages très théâtrales, pleines d'emphase. On a beaucoup de jeu sur les lignes (barreaux des cages, pluie, tirs, impression de vitesse des voitures qui filent à vive allure, etc.). Un troisième personnage dérangeant apparaît avec le super policier grec. On a droit à un dessin assez surprenant qui fait une double page (pages 468-469). Il un face à face entre Alabaster à gauche de l'image, et le frère de la fille invisible à droite, avec justement les yeux de la fille derrière la nuque du frère. Entre les deux personnages, on a au sol l'entrée carrée de l'escalier qui descend, mais la représentation oblique impose plutôt l'idée du losange et puis on a la grande surface arrondie de cette place avec au bout les colonnes rectangulaires. La géométrie du dessin crée un effet assez troublant et qui crée un surplomb un peu métaphysique qui donne de la profondeur à l'action, du sens à l'intrigue.
Je ne vais pas commenter case par case un manga que vous n'avez peut-être pas lu, mais malgré une abondance de cases de mangas qui représentent les visages, les choses de manière basique et peu détaillée on a encore une fois un grand nombre d'impacts visuels à la lecture de ce manga, soit par la mise en page, soit par plusieurs grandes images scotchantes, soit par l'inventivité des détails. On a aussi une image de chevauchée saisissante à la Zapata, avec l'héroïne invisible au milieu d'un troupeau de chevaux squelettes qui galopent... C'est indéniablement un manga qui en jette.

davidson
8
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le 16 nov. 2019

Critique lue 216 fois

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