Chico & Rita
6.5
Chico & Rita

BD (divers) de Fernando Trueba et Javier Mariscal (2011)

Musique cubaine et incertitudes du coeur

Tiré d'un film des mêmes auteurs (Fernando Trueba au scénario, Javier Mariscal au dessin), ce roman graphique raconte les amours intermittents de Chico, pianiste, et de Rita, chanteuse.

L'histoire d'amour est touchante dans ses incertitudes, ses ruptures et ses rabibochages; elle est plus proche du quotidien sentimental des lecteurs que les histoires d'amour infini-absolu-éternel, dont on perçoit le caractère illusoire dès qu'on a dépassé l'âge de quinze ans.

Le grande vedette de ce roman, c'est la musique cubaine, le chant cubain, les rythmes latinos et afro-américains; les auteurs introduisent aussi souvent que possible des scènes de chant, de danse, d'orchestre... Mais voilà, on est dans une BD, et une BD n'a, théoriquement, pas le son. Alors, ces scènes musicales et rythmées font assez bizarre dans les dessins : des pages entières nous assènent des images de personnages en train de jouer d'un instrument, de chanter, de danser, avec pour tout dialogue des notes de musique qui planent (pages 9 à 12), des paroles de chansons qui ondulent dans la vignette (pages 16 à 18), des "tara tara tatiii" (page 36), des "pling plang" (piano) (page 36), des "tac-ta tum-tum-tum" (page 83), des "pa-pa-cha-raa" page 110. Illustres noms du jazz des Etats-Unis mis en scène page 130.

L'idée d'étendre l'amour de Chico et Rita sur leur vie entière nous vaut de beaux moments d'émotion. Les personnage secondaires (les amoureux de remplacement, les amoureux qu'on aurait pu agréer, mais...) ont leur dignité, et personne n'est tout à fait méchant là-dedans. Juste des vies d'hommes et de femmes s'essayant au bonheur, grâce à ou malgré leurs pulsions. Le racisme des Blancs contre les Noirs est présent aussi bien à Cuba (page 32) qu'aux Etats-Unis (pages 133-134, 152).

"Sexy" (quatrième de couverture), le dessin l'est surtout pages 48 à 62, lors de l'inévitable première nuit des amants. Mais l'érotisme, au sens charnel, reste limité.

Cuba est au centre du décor : quelques vues de quartiers contrastés de La Havane pages 1 à 3; de belles vues sur les bords de mer , enseignes de commerces et de boîtes de nuit, néons criards des années 1950, bâtiments hispano-coloniaux, tramways (pages 78-82) (pages 26-27, 43-47).

Le fascisme rouge cubain de Fidel Castro, et sa propagande débile et crétinisante, est perceptible pages 3 à 6, 172, 197 à 199. Le passage totalitaire d'une "musique-joie de vivre" à une "musique-conforme à la ligne du parti" est bien évoquée. Cuba a eu ses Jdanov.

Le dessin de Javier Mariscal, très ligne claire, évoque des références que Fernando Trueba cite d'ailleurs dans une conclusion "off" : Tintin et Picasso. De Tintin, Javier Mariscal présente la nette impeccabilité de ses lignes claires aux traits épais, de ses couleurs vives et généralement optimistes, en harmonie avec les mélodies latinas. A peine un peu plus de dégradés ombre-lumière que dans Tintin. Comme une partie de l'action se situe à partir de 1948, même les automobiles et les bateaux ressemblent à ceux dessinés par Hergé ! Par contre, la vivacité des couleurs et le caractères très simplifié du dessin (les effets 3D font grève) évoquent nettement les images immobiles, un peu chiriquesques, de Loustal.

Quant à Picasso, il ne faut pas pousser. A l'occasion d'un rêve de Chico, Mariscal nous offre des scènes oniriques colorées (pages 114 à 119), qui font d'ailleurs plus Chagall ou Cocteau que Picasso.

D'autre part, Mariscal ne semble pas tirer ses lignes droites à la règle, ce qui nous vaut ici et là des rectangles un peu tordus, des corniches qui ondulent, des lignes qui devraient être parallèles, mais qui... (pages 2, 65, 132, 163...). Ajoutons la propension de Mariscal à rajouter dans les décor des traits sinueux, dont on bien de la peine à saisir parfois s'il s'agit d'écaillures sur les murs et les plafonds, de rais de lumières à travers les volets, de liquide répandu ou de restes de décors sur les murs ou le carrelage (page 8).

L'histoire d'amour se termine à Las Vegas (bel endroit pour les errances du coeur).

On se laissera porter par la naïveté et l'inconstance des sentiments. Quant à mieux connaître la musique cubaine, il manque décidément le son...
khorsabad
6
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le 9 sept. 2013

Critique lue 289 fois

khorsabad

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