Sean Lewis et Caitlin Yarsky s’associent pour créer Coyotes, un comics au sein duquel les femmes d’une ville-frontière du désert sont pourchassées par des loups-garous… Récit féministe, chronologie déstructurée, mise à mal des entreprises de l’armement, planches soignées : nombreux sont les atouts de ce premier volume.


Tout commence avec le transfert d’un policier, Frank, dans une ville-frontière du désert, appelée la Cité des filles perdues. Cette mutation d’abord inexpliquée est en fait une sanction : on apprendra plus tard qu’elle a été ordonnée à la suite de l’arrestation d’un chauffard employé par ADLIN, une entreprise active dans l’armement aussi puissante qu’opaque, participant à tous les conflits, ou presque, depuis la Première guerre mondiale. Ironiquement, Frank ne porte pas les animaux dans son cœur et peine même parfois à les distinguer. C’est pourtant lui qui aura la charge de seconder une équipe de femmes quand il s’agira de faire face à des loups-garous insatiables. Au risque d’ailleurs de perdre sa famille, qu’il voit de moins en moins, et qui lui reproche de plus en plus.


Après l’arrivée dans la Cité des filles perdues de ce policier puni pour son intégrité, le lecteur a droit à une première double page horrifique, mettant en scène un tas de cadavres déchiquetés. Voilà le nœud de l’intrigue, révélé par bribe : des « coyotes », sortes de loups-garous apparemment misogynes, attaquent et dévorent les femmes des environs. Une poche de résistance a toutefois investi la gare Victoria abandonnée, et c’est là que réside Red, une gamine de treize ans armée de katanas et mue par un sentiment de vengeance inexpiable. Sa sœur fut la victime des coyotes et sa meilleure amie Valeria, qu’elle méprisait auparavant, a perdu un œil en la sauvant de leurs griffes. La communauté de ces insoumises se trouve sous la coupe de la Duchesse, qui restera longtemps une figure mystérieuse et potentiellement duale.


Les thèmes abordés par Coyotes sont nombreux. Sean Lewis se contente d’en effleurer certains – la notion d’aide et d’empathie, la démission parentale avec Valeria, la vie sous menace « terroriste » via Red –, tandis que d’autres irriguent de part en part le récit, fait de multiples bonds temporels (que l’on distingue notamment par l’usage, ou non, de couleurs). On songe évidemment à la dénonciation du complexe militaro-industriel par le truchement d’ADLIN. Le chauffard responsable du transfert de Frank lui exhibe fièrement sa carte de visite après avoir commis un homicide involontaire. Les responsables d’ADLIN maintiennent en captivité un loup des temps anciens et se servent de sa peau pour créer des monstres à quatre pattes sanguinaires. Ils font des expériences sur des enfants et des prisonniers. La cupidité, l’opportunisme et l’inhumanité pourraient trôner au frontispice de leurs valeurs.


Il faut attendre la fin de ce volume pour rassembler toutes les pièces du puzzle narratif. Et avant de se dissiper (partiellement), le mystère s’épaissit en cours de lecture avec les étranges poupées de Glauqueville, les combattantes pionnières, les filles de Gaia, le passé trouble de la Duchesse, Seff le loup ancestral ou encore les expériences glaçantes du docteur Rothschild. Complexe dans sa narration, inventif dans ses intrigues, ce Coyotes premier du nom se caractérise aussi par des planches soignées et quelques références hypothétiques (l’ourson de Breaking Bad, les cous d’Amedeo Modigliani, une entreprise ADLIN rappelant à certains égards la Weyland-Yutani Corporation d’Alien, etc.).


Article publié sur Le Mag du Ciné

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le 9 sept. 2019

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