Cinq ans après les débuts et à l'approche des coups de soleil, c'est à un opus ouvertement estival que Run convie de nouveaux auteurs et illustrateurs à rejoindre l'écurie DoggyBags pour un numéro placé sous le signe du soleil qui nous promène en destinations de rêves pour mieux développer 


les cauchemars gores d'une flopée de paumés aventureux.



Si graphiquement deux des récits sont un peu éloignés des styles habituels du fanzine, les histoires continuent d'enrichir les bestiaires fantastiques et les brutalités humaines qui font battre le cœur du Label 619, et blanchissent d'effrois nos peaux hâlées.


Quatre français en Afrique du Sud embarquent sur le Carcharodon, en quête de sensations aquatiques et de clichés inoubliables, sous la plume d'Hasteda et les crayons de Ludovic Chesnot. Partis chasser le requin, les jeunes backpackers à la merci d'une tempête deviennent proies d'un monstre préhistorique.


Cette cage c'est comme une cible et ce requin ne va pas nous
louper ! 



Si le scénario pêche par excès de facilités linéaires, c'est pour mieux faire affleurer le gore assumé de l'épisode, et laisser le 


superbe travail graphique,



hors de l'eau sur les personnages et l'expressivité saisissante du moindre détail, et dans l'eau sous les filés flous des aquarelles : Ludovic Chesnot impressionne.


Destination la Californie ensuite, et parmi les missions qui y délimitent l'Histoire du pays, celle de Sagrado Corazon, scénario machiavéliquement et sadiquement féministe pour mieux mettre en exergue


les exactions d'une humanité sans scrupule,



Valérie Mangin s'éloigne avec un certain plaisir des sagas mythologiques qui ont fait une partie de sa renommée et prouve combien elle excelle au format court.



 Veru, j'en ai assez que tous mes petits amis repartent tout le
temps. 



Un suspense sympathique sur fond de prélèvement d'organes, l'implication des mafias de la Cité des Anges, une mission abandonnée où quelques femmes vivent à l'écart du monde, il y a de quoi être déçu du traitement négligé de Loïc Sécheresse au dessin précipité flirtant avec les rondeurs d'un Reiser et le style flasque d'Agrippine sous aplats de couleurs vives. Les décors manquent de richesses lors qu'il y avait tout pour, et la meilleure case de l'épisode supposé torride autant que terrible ne luit qu'au dernier regard, vrai, palpable d'intentions, au visage d'une de ces femmes. Minutieuse, terrible. Un dessin lâche et gras, un découpage trop franco-belge où DoggyBags mêle habituellement les genres, petite déception graphique.
Tanguy Mandias livre Annie, courte nouvelle vivace, épidermique, expéditive, toute en souffrances :


une échappée Old Boy style



à travers les étages d'un immeuble de Manille, écrite à la puissance des poings et à la précision du scalpel sur un twist un peu décevant. Lecture saisissante de malaises.


Haïti, dans les années soixante. La foule massée à l'entrée du pénitencier réclament la mort de l'homme mené derrière les murs de la Prizon. Hasteda concocte une vengeance vaudou avec golem de boue massif et colérique après la sordide découverte du cadavre d'une petite fille violée et brutalisée à mort.


Je vais juste prendre un peu de son sang pour donner la vie. Je vais
juste prendre un peu de sa peine pour libérer la colère. 



Le trait tendrement imprécis de Baptiste Pagani crée et soutient assurément les ambiances, l'averse inonde le lecteur de 


frissons aussi acérés que glacials



mais ce dessin exotique à souhait manque malgré tout de mordant expressif autour des personnages, joue d'une forme de tendre recul, légèreté d'autant plus préjudiciable que le golem est impressionnant de vivacité, de puissance et de fureur déchaînée. Et que la petite histoire qui manipule les cœurs assoiffés de vengeance a tout pour terroriser.


En bonus, quelques pages du rédac'chef avec Mutafukaz Z, de Run, un 


hommage en coups de katana



à l'univers de Walking Dead où Lino traîne ce qui subsiste des chairs de Vinz au bout d'une chaîne et se démène dans les rues d'une ville infestée façon Michonne. Jouissives pages d'un cross-over dément ! Immanquable.


Un onzième volume gâché de quelques déceptions, où l'ouverture joue quelques tours légers à l'ambiance crasse et tranchante de la collection, mais qui se rattrape comme toujours de l'efficacité de sa formule riche de diversité, d'informations éclairantes pour contextualiser l'exploitation, et agrémenté d'immanquables bonus en fin de volume pour prolonger cette 


immersion estivale en bains de sang.


Matthieu_Marsan-Bach
7

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Créée

le 7 sept. 2018

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