Dans le – trop restreint – corpus sullivanien, Elles se rendent pas compte est le volume le plus court, le plus faible, mais aussi celui qui a le plus mal vieilli : dans ce pastiche de roman noir, deux frères rupins, Francis et Ritchie, s'attaquent à une bande d'homosexuels entraînant leur amie d'enfance dans une sombre affaire de drogue ayant pour cadre les alentours ensoleillés de Washington. Autant dire que cette histoire, qui se déroule, il est vrai, dans un certain esprit d'insouciance et de badinage, ne correspond guère au goût de la saison 2020-2021 en terme d'inclusivité et d'ouverture à l'autre : les invertis y sont vertement tabassés, et les lesbiennes remises dans le droit chemin à coups de reins sans que leur consentement leur ait été demandé au préalable... A partir de là, nous ne pouvions qu'être curieux de voir comment les auteurs allaient s'en tirer avec une source sonnant autant 1950 ?


Contre toute attente, le résultat en version 9ème art est étonnamment plaisant. Pourtant, rien n'a été édulcorée de la misogynie et de l'homophobie du livre de Vian, alors qu'on se serait attendu à retrouver une forme d'auto-censure similaire à celle que l'on a pu observer, dans un registre plus enfantin, avec Tintin et Blake et Mortimer quand ils se sont vus adaptés au format animé. Ici, si la sauce prend (ou monte, choix qui semble le plus de circonstance dans le cas présent), c'est parce que le regard ouvertement parodique porté sur le genre, déjà présent dans le roman, est conservé et retranscrit bulles après bulles, cases après cases.


Après tout, Elles se rendent pas compte est visiblement marqué par ce goût du simulacre, d'où l'importance du motif du travestissement, l'intrigue débutant à l'occasion d'un bal masqué,


(dans lequel Batman et Superman font une apparition de la même manière qu'Astérix et Snoopy s'invitaient au carnaval de Tintin et les Picaros)


, où le viril Francis dissimule ses attributs masculins, tout en les gardant à portée. Cette confusion des genres est à l'image de cette histoire, qui n'est qu'un prétexte pour nos deux héros détectives amateurs pour assouvir leurs pulsions charnelles et violentes, de même que celles du lecteur amateur de ce type de littérature, et de son fameux cocktail Kiss, kiss, bang, bang ! Le tout sur le ton de la franche rigolade, dans un environnement coloré et Art déco pour ce qui est du dessin. Que demande le peuple ?


Enfin, la dernière case est l'occasion pour J.D. Morvan de sauver l'honneur, en opposant à la réplique finale éponyme un contrepoint vianesque tout droit sorti de l'Herbe Rouge.

GA71
8
Écrit par

Créée

le 28 avr. 2021

Critique lue 65 fois

3 j'aime

2 commentaires

GA71

Écrit par

Critique lue 65 fois

3
2

Du même critique

Elles se rendent pas compte
GA71
8

Dynamique tandem

Dans le – trop restreint – corpus sullivanien, Elles se rendent pas compte est le volume le plus court, le plus faible, mais aussi celui qui a le plus mal vieilli : dans ce pastiche de roman...

Par

le 28 avr. 2021

3 j'aime

2

J'irai cracher sur vos tombes
GA71
10

Les yeux qui refermaient

2020 a été une année noire dans tous les sens du terme, et c'est aussi sous cette couleur qu'a été placée la célébration du centenaire de la naissance de Boris Vian. En effet, nous avons eu droit,...

Par

le 28 avr. 2021

3 j'aime

Spade et Archer
GA71
6

Samuel Spade

De manière assez fascinante, il y a dans le récit du Faucon Maltais – et cela reste valable à la fois pour le roman de Dashiell Hammett et l'adaptation cinématographique qu'en a tiré Huston avec...

Par

le 7 oct. 2022

1 j'aime

1