The remarkable rocket est un petit conte d'Oscar Wilde, qui traîne sur Internet (et probablement dans les ludothèques) comme l'insignifiant Dragonfly errant dans sa forêt..


Il y en a des libellules, qui volent anonymement jusqu'au bout, on s'y perdrait, mais il est toujours plaisant lorsqu'on en croise une de se dire que notre émerveillement rend hommage à toutes les autres.


... C'est une image, vous pensez bien, le genre d'images auxquelles Oscar Wilde, dans le conte en question, tord tendrement le cou... quand bien même les libellules auraient des cous...


Des libellules avec des cous, c'est une image. C'est de la poésie: imaginer une vision du monde qui rendra sens (et peut-être même honneur) à notre pensée. Le monde est subjectif, il est donc à l'image de nos sens, et de notre amour.


Any place you love is the world to you dit la roue de Catherine, le pétard qui tourne. (Oui, ce conte est l'histoire de feux d'artifices qui parlent de romance. C'est d'occasion, il se trouve qu'un mariage royal a lieu le jour même où ils ont décidé de s'envoler)


but love is not fashionable any more, the poets have killed it ajoute-t-elle cependant (la libellule suffoque, et nous en veut peut-être un peu de lui avoir donné un cou).


Il y a dans ce conte tout ce qui caractérise a priori les contes : des rois, des reines, des princes, des princesses, une végétation magique, des animaux et des objets qui parlent, une séparation nette entre la ville et la forêt, la civilisation et la nature, la stabilité et la mutation, les certitudes et le doute (l'errance, wandering... wondering... wonderful, plein de wonder)...


Les mécanismes cependant sont démontés, par la dérision (on ne tord pas le cou à la libellule sans un peu d'ironie... sinon ça paraît méchant).


Dans ce conte, le roi double les salaires de ses serfs qui à la base n'avaient pas de salaires. 2 × 0, c'est la tête à Toto, mais cela reste un beau geste (As he received no salary at all this was not of much use to him, but it was considered a great honour, and was duly published in the Court Gazette). C'est un effet de réel.


Óscar Wilde est en décalage dans sa description de ce monde merveilleux, et pointe le doigt sur les dysfonctionnements. Ces dysfonctionnements semblent l'amuser plus que le merveilleux, ce sont d'ailleurs eux, comme des effets de réel toujours, qui nourrissent notre fascination à la lecture du conte. À l'image du prince qui découvre sa future épouse : « 'Your picture was beautiful,' he murmured, 'but you are more beautiful than your picture;' and the little Princess blushed ». Blanche-Neige retrouve ses couleurs.


La description de ce monde merveilleux, autour des noces du prince et de la princesse, n'est qu'un amuse bouche, un argument presque, pour aborder la corruption de la nature par la poésie.


Ce sont les feux d'artifices qui ensuite vont y réfléchir. Qui prennent le bébé comme on dit. La remarquable rocket, allégorie du poète, tentera tant bien que mal de porter son étendard, celui de la poésie et donc du sien. Dans la ville encore ça passe, où tout le monde sait ce qui est beau ; mais dans la nature, le pétard déjà mouillé par ses propres larmes d'extase est un peu démuni, et le bagage poétique qu'il amène avec lui semble bien loin du mot wonderful...


BONUS:


                                     I. 

We are as clouds that veil the midnight moon;
How restlessly they speed and gleam and quiver,
Streaking the darkness radiantly! yet soon
Night closes round, and they are lost for ever:—


                                     II.

Or like forgotten lyres whose dissonant strings
Give various response to each varying blast,
To whose frail frame no second motion brings
One mood or modulation like the last.


                                    III.

We rest—a dream has power to poison sleep;
We rise—one wandering thought pollutes the day;
We feel, conceive or reason, laugh or weep,
Embrace fond woe, or cast our cares away:—


                                   IV.

It is the same!—For, be it joy or sorrow,
The path of its departure still is free;
Man's yesterday may ne'er be like his morrow;
Nought may endure but Mutability.


Percy Bisshe Shelley - Mutability

Vernon79
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le 21 févr. 2018

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Vernon79

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