Nameless, We3, Kid Eternity, Annihilator, ... il est toujours délicat d'écrire quelque chose sur une oeuvre de Grant Morrison tant l'auteur fait vivre des moments tellement déconcertants que de simples mots ne suffiraient pas à décrire les sensations ressenties.


Nous sommes en 1996, cela fait plus de 50 ans qui se sont écoulés depuis les premières années communément appelées l'Âge d'Or du comics. Grant Morrison a à coeur de parler de cette longue histoire de tout un pan de la culture américaine. Dans Flex Mentallo il questionne le genre tout en lui rendant un hommage flamboyant.


Les bases de cette histoire sont assez simples. Flex Mentallo avant d'être un super-héros dans la réalité, était une création fictive de l'auteur Wallace (Wally) Sage (dont l'édition Urban Comics Deluxe nous raconte l'histoire fictive avec beaucoup d'humour noir). Grâce aux pouvoirs psychiques de Wally, sa création est devenue réalité, elle a une mission : sauver le monde de sa fin programmée.


Tout au long de l'aventure, l'auteur et sa création se partageront les différents enjeux mis en place par l'esprit tordu de Grant Morrison qui revient sur l'un de ses thèmes favoris, le rapport qu'entretient l'auteur avec sa création et de l'impact que peut avoir l'un sur l'autre. C'est ainsi que Wally Sage, auteur désabusé, fait directement le lien avec Morrison dans un récit autobiographique aux multiples embranchements.


Pour mettre ses thématiques en oeuvre, Grant Morrison s'amuse à bousculer l'esprit de son lectorat où la frontière entre la réalité et la fiction est ébranlée par cette relation conflictuelle entre l'auteur et la création.


C'est donc en rendant hommage à l'Age d'Or que Grant Morrison se questionne aussi sur l'évolution du comics à travers le temps. Qu'est-il advenu du héros d'antan (représenté ici par Flex Mentallo), celui au charme simple, celui qui illuminait les yeux des enfants, qui lui apportait de l'espoir et du courage dans une réalité entre la terreur de la Seconde Guerre mondiale et la peur de la guerre nucléaire et la bombe H ? Pourquoi avoir honte de ce style révolu pourtant pilier essentiel ayant eu une grande influence sur la société, pourquoi le renier ?


Grant Morrison va répondre à ces questions en faisant évoluer son histoire dans quatre chapitres  renvoyant chacun à un âge du comics. Son analyse d'origine est alimentée par un nouvel angle de réflexion développé dans un Âge. L'Âge d'Or, celui des idées simples, des symboles et de l'espoir, l'Âge d'Argent, celui de la censure et du virage science-fiction du genre ou encore l'Âge Sombre, celui des illusions perdues et des héros plus violents.


C'est avec une grande mélancolie que Morrison déclare son amour au comics et à son Âge d'Or qui lui a permis de devenir l'auteur qu'il est aujourd'hui. Le comics lui a sauvé la vie, lui a permis de s'échapper d'une réalité terrifiante. C'est à travers lui qu'il a écrit sa propre histoire. Il faut croire en l'essence des super-héros, ne plus avoir honte de ce qu'ils ont représenté. Ils sont le symbole d'une culture fleurissante, l'espoir d'une génération entière. Ils sont la lumière éclairant les cauchemars les plus sombres. Il faut se souvenir, ne jamais oublier.


On comprend que l'auteur regrette le bon vieux temps où le comics pouvait être lu par les enfants et faisant ainsi travailler leur imaginaire. Maintenant, on ne peut pas vraiment dire que Morrison soit plein d'amertume. Il partage principalement son expérience, son rapport au comics, une thérapie qui l'a aidé à supporter sa solitude par la lecture et l'écriture. Il s'interroge beaucoup sur l'identité des comics depuis l'arrivée des multiples univers parallèles qui altèrent à volonté l'évolution. Tout est remis en cause entre l'identité ou la frontière entre réalité et fiction.


Flex Mentallo est une oeuvre complète, un ouvrage essentiel qui revient sur l'histoire du comics. C'est aussi une mise en abyme remarquable de son auteur. Que représente un super-héros, pourquoi le comics, quel rapport entre les créations et les créateurs ? Autant de questions qui trouveront certaines réponses dans un chapitre final explosif. L'ensemble admirablement bien servi par Grant Morrison et mis en images par un Frank Quitely au sommet de son art.


Entre accessibilité et complexité, l'oeuvre du duo mythique Morrison/Quietly est un monument du genre dont plusieurs relectures permettront de comprendre plus en profondeur les différents détails et repérer la multitude de références. Flex Mentallo c'est dingue, drôle et "fort en pomme".

MassilNanouche
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le 28 mai 2016

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Massil Nanouche

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