John Constantine chez les néo-nazis et les sado-masos

Je n'ai jamais lu les Hellblazer dans l'ordre ; j'avais débuté par les 3 premiers albums publiés en France, par Toth, éditeur demeuré dans l'obscurité. Ca correspondait au début du run de Brian Azzarello, et la publication s'était arrêté avant le dernier tome : Highwater... il n'est toujours pas sorti par chez nous à ce jour, du coup je me le suis acheté en VO.


Les 3 albums mentionnés sont ceux que j'ai le plus lu, et ceux dont je me souviens le mieux, mais j'ai quand même eu besoin de me remettre dans le bain.
Au début du run, Constantine était passé par la case prison pour le meurtre de Richard "Lucky" Fermin, mais celui-ci s'était suicidé, dans des conditions encore floues : il avait donné un flingue à Constantine, qui le lui avait rendu, et avec lequel il s'est tiré une balle. Je ne me souvenais plus exactement si John était vraiment responsable ou non, enfin si c'était indiqué clairement.
En tout cas, se sentant responsable, son périple à travers les Etats-Unis durant tout ce run a pour but de retrouver la femme du défunt… qui s’avère étonnamment compréhensive envers John, comme si leur relation remontait à suffisamment loin pour passer l’éponge sur ce pseudo-meurtre.
Elle lui présente un ami, qui s’avère être le chef d’une communauté néo-nazie. Le fantôme de Lucky demande à John de protéger sa femme de leur influence.


Cet album continue de dresser une série de portraits sinistres issus de l’Amérique rurale, où les monstres qu’affronte Constantine sont des humains. Azzarello va dans le détail de la description de ces suprématistes blancs, en nous livrant leur interprétation révisionniste de la Bible et de longues réflexions où ils justifient leur idéologie. L’auteur a la superbe idée d’utiliser ça pour rythmer entièrement chaque numéro, et c’est impressionnant à quel point Azzarello va loin pour rentrer dans leur tête.
John s’en trouve alors beaucoup plus effacé, ce n’est pas lui qui a la parole la plupart du temps. Mais il suffit de quelques mimiques et répliques bien placées pour qu’on ait le plaisir de voir son cynisme et son intelligence ressurgir. Juste une phrase de Constantine fait s’écrouler un discours de haine qui a tenu sur plusieurs pages.
Les dialogues sont comme des mécanismes très bien huilés, Azzarello se montre fort pour la suggestion, faire comprendre ce qu’il se passe juste par des bribes d’évènements ou de conversations…


John fait semblant pendant un temps d’être du côté des néo-nazis et les aide, on ignore ce qu’il prépare mais c’est intriguant. Et en fait, la fin est très décevante, parce qu’on nous laissait à penser que le héros manipulait ses adversaires pour les retourner les uns contre les autres… et la façon dont il règle ultimement le problème n’a rien à voir.
L’histoire "Highwater", en 4 parties, se termine par une révélation sur le suicide de Lucky dont on nous préserve, nous laissant largués.


En tout cas, j’adore le style de dessin de Marcelo Frusin, c’est limpide, épuré, mais très sombre, plein d’ombres, et il y a toujours un superbe usage du contrejour et de sortes de clair-obscur.
J’adore l’air sournois qu’il arrive à donner à Constantine, qui, quand il baisse légèrement la tête, a les yeux dans l’ombre, entourés de noir.
Les dessins sont bien violents et crasseux, et la couleur apporte beaucoup, créant une ambiance tantôt crépusculaire, tantôt poisseuse.
L’alliance du trait et de la mise en couleur donne des images superbes.


Après l’histoire "Highwater" qui donne son nom à l’album, celui-ci se poursuit avec "A fresh coat of red paint". J’ai dû vérifier que c’était toujours Azzarello à l’écriture, car le ton change complètement.
John recueille une prostituée, qu’il compte payer en gagnant de l’argent au bingo.
Je n’y ai plus reconnu le personnage, le récit est grossier, le héros y fait preuve d’une méchanceté gratuite et acharnée contre des vieux qui assistent en silence à sa débauche. D’un outcast dont la hargne et le cynisme défendaient des causes plus ou moins justes, Constantine passe à un jeune connard orgueilleux, tout fier de se moquer de ceux dont la jeunesse est passée.
L’histoire devient de plus en plus scabreuse, et même s’il y a toujours des bons mots, on se rapproche plus des dialogues d’un porno-chic que d’un Hellblazer. Et ce même si, au final, ça a une fonction : Constantine cherche à niquer quelqu’un d’autres que la prostituée, figurativement.


"Chasing demons" ensuite, vraiment décevant aussi. On en apprend un peu plus sur S.W. Manor, un personnage riche et nocif apparu à la fin d’Highwater, mais en parallèle Azzarello n’a rien à raconter par rapport à John, et meuble avec des scènes dans un bar sans aucun intérêt.
Concernant les deux dernières histoires, j’aime aussi beaucoup moins le style de dessin de Giuseppe Camuncoli, qui fait plus cartoonesque. Le dessinateur insiste trop sur ses intentions, sur des moments qu’il veut cools, alors il donne aux personnages une expression exagérée, fait changer la couleur de pupille de John, …
Et puis il fait voler l’imper du héros comme si c’était une cape, qui augmente de taille comme par magie grâce au vent ; c’est John Constantine, pas Batman.


L’album, et le run, se conclut avec "Ashes and dust in the city of angels", qui voit le retour de Marcelo Frusin au dessin, et ça fait du bien ! Ca change tout. Les personnages sont mieux dessinés, les décors plus détaillés ; l’ambiance est toute autre. Et Frusin fait passer ses idées plus subtilement, comme quand par son choix de cadre, il place une vitre derrière Constantine qui forme discrètement une auréole, le temps d’une case.
Cameron Stewart prend le relais sur quelques pages, et son style est équivalent à celui de Frusin ; le trait est différent mais produisent le même effet, et j’aime ses compositions et son sens du détail, aussi inventifs que chez Frusin.


L’histoire débute quand un corps calciné, qu’on pense être celui de John Constantine, est retrouvé dans un club SM. La police interroge les témoins, encore dans leurs tenues de cuir, et on dirait que plus ils en racontent, plus le mystère grandit, et intrigue.
Quand on apprend quelque chose de nouveau, ça soulève d’autres questions, ce qui s’avère irritant puisqu’en fin de compte, Azzarello nous laisse dans le flou depuis le tout début de ce run (soit près de 20 numéros plus tôt).
Et même à la fin, quand toutes les pièces se mettent enfin en place, j’ai l’impression que le personnage de Manor reste trop flou.


Azzarello continue de dépeindre John Constantine comme ayant une sexualité… débridée, disons. Ca m’a surpris non seulement car c’est la première fois que je voyais le personnage ainsi, mais aussi parce que je ne le concevais pas comme ça, au vu des autres aperçus de sa vie privée qu’on a eu, aussi bien avant ou après ce run. Mais bon, ok, pourquoi pas…
Il faut croire que l’auteur a vraiment remanié le personnage, car d’après ce que j’ai lu, c’est aussi la première fois que John s’est révélé être bisexuel (au numéro 172, donc quand même assez tard).


Cette fois, Azzarello explore un peu le point de vue d’adeptes de SM, et c’est tout aussi intéressant que les autres figures vues jusque là. On nous décrit par exemple la sensation procurée par la cire fondue tombant sur la peau, on évoque le fait que la plupart sont excités par la menace de la torture et non par la douleur véritablement…
Les dialogues restent bien sentis, d’un humour grinçant et plein de piques.
Mais l’auteur veut reposer sur ses bons mots pour créer une sorte de tension sexuelle entre la détective et l’agent du FBI qui enquête sur la mort de Constantine, mais ça sort de nulle part… surtout qu’on se retrouve dans la situation habituelle où le FBI reprend l’affaire de la police en les laissant dans le flou.


Donc globalement, je suis assez déçu par la conclusion de ce run. Les précédents albums écrits par Azzarello marchaient mieux car c’est des histoires qu’on pouvait prendre à part, indépendamment du fil rouge que l’auteur voulait constituer, mais ici les défauts de l’intrigue avec Lucky apparaissent plus clairement, en même temps que le mystère autour de sa mort se dissipe.
L’écriture reste de qualité dans la forme, mais c’est le fond qui gêne.
De plus, il y a cette impression désagréable de n’avoir plus affaire, par moments, au John Constantine tel que je le connais et l’aime, alors que jusque là Azzarello avait fait un super boulot avec le personnage.

Fry3000
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le 5 mai 2016

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