Ikki Mandara
7.2
Ikki Mandara

Manga de Osamu Tezuka (2008)

Récit sur fond historique captivant, mais hélas inachevé...

Comme il est dit sur l'accroche en quatrième de couverture "Une grande fresque sur un épisode fondateur de la Chine méconnu en Occident !" Le volume que j'ai entre les mains a été publié par Kana (Dargaud) dans la collection "Sensei". Le volume a été publié dans le format courant des mangas, on n'a pas ici l'agrandissement d'une "perfect edition"..., et nous avons une couverture cartonnée souple. Le volume assez épais atteint les 556 à 560 pages, mais il tient bien dans la main. Il contient les deux parties du récit Ikki mandara que Tezuka a composées, suivies d'une postface de deux pages de Tezuka lui-même. Toutefois, le volume contient aussi deux pages de résumé de l'histoire qui me dérangent quelque peu et dont il faut avertir le lecteur. En effet, vous ouvrez le volume, vous tournez la page de faux-titre "Ikki Mandara - Osamu Tezuka" et vous tombez sur une page "Ikki Mandara - Première partie" avec un résumé de toute la première partie. J'ai commencé à la lire, et me rendant compte de son étrangeté, j'ai arrêté et je suis passé à la lecture du manga lui-même, j'ai également évité de lire le même résumé en tête de deuxième partie. Je ne comprends pas pourquoi on a droit à des résumés anticipés de ce qu'on va lire en manga. Là, ça me dépasse. C'est un peu le problème des préfaces en Livre de poche. Vous achetez L'Assommoir de Zola, et puis vous avez un Cavanna qui vous fait une préface et qui vous raconte toute l'histoire. Il ne vous manque pas quelques cases ?
Bref !
Le dessin sur la première page de couverture est assez touchant. Nous reconnaissons un personnage féminin (poitrine accentuée par le creusement des hanches) dans un habit d'homme et d'ailleurs dans un habit occidental qui dépasse à mi-corps d'un intrigant décor naturel de broussailles. Le visage tourne sur le côté un regard triste, doux et étonné. La quatrième de couverture offre en contrepoint un médaillon avec une figure féminine plus clownesque, joues et nez rouges, sourire et regard bêtes mais gentils, nez retroussé porcin... Le texte d'accroche nous précise que nous sommes au temps de la "révolte des Boxers" et que celle-ci s'est répandue comme un "feu de brousse". Il va être question d'une fresque historique, mais à partir du récit de la vie d'une "jeune Chinoise, Sanniang".
Mais, venons-en à la lecture problématique du titre Ikki Mandara. Ce titre ne doit sembler complètement opaque à un lecteur occidental. Je ne sais même pas ce que veut dire le mot "Mandara". Je comprends vaguement que c'est un mot d'origine bouddhique et que ça désigne un petit peu la pensée du personnage Ikki comme une valeur religieuse, une secte, etc. Mais, en tout cas, pour le nom Ikki, voici les explications de Tezuka dans la postface : "J'ai voulu mettre en scène, à travers ce manga, la vie énigmatique et le destin romanesque de Kita Terujirô, dit Kita Ikki, à qui l'on doit l'incident du 26 février et qui faisait figure de loup solitaire, porte-drapeau du socialisme pouplaire." L'incident dont il est question date du 26 février 1936, il vient longtemps après la révolte des Boxers de 1900 ! Pour citer la note de bas de page du traducteur, il s'agit d'une "tentative de coup d'état, qui eut lieu au Japon du 26 au 29 février 1936, fomentée par la faction ultranationaliste de l'armée impériale japonaise. Plusieurs hommes politiques furent assassinés tandis que le centre de Tokyo passa pendant quelque temps aux mains des insurgés avant que le putsch ne soit réprimé. Kita Ikki sera condamné à mort lors du procès qui suivra." En fait, le manga n'a pas pour fond la guerre des Boxers, celle-ci ne concerne que, et encore partiellement, la première partie du manga. Le récit va se déplacer au Japon et le personnage qui donne son nom au manga n'apparaît qu'au beau milieu de la deuxième partie... Cela donne une idée du caractère incomplet du récit que nous avons entre les mains et cela donne aussi une idée de la difficulté que nous aurons à comprendre les intentions de l'auteur. On comprend l'intrigue immédiate du récit, mais difficile de spontanément cerner là où l'auteur veut nous mener. La postface apporte ainsi des précisions importantes. Tezuka dit avoir voulu "tenter de dépeindre l'influence qu'avait bien pu avoir, chez le jeune intellectuel qu'était Ikki, toute l'énergie déployée par le peuple chinois dans sa révolte et son espoir d'une vie nouvelle", "de voir dans quelle mesure ce mouvement avait pu toucher la société japonaise". Le personnage fictif de Sanniang permet de créer une action qui va relier l'épisode chinois à la vie, à la légende et aux écrits de Kita Ikki, sachant que Sanniang est censée ressembler à une soeur que l'intellectuel japonais a perdu. Le problème, c'est que le manga étai publié par feuilletons dans une revue qui n'avait pas l'habitude d'un tel profil de récits, et donc il n'a pas trouvé son public et le projet a été interrompu alors qu'il semblait devoir s'inscrire dans la durée. Tezuka nous confie ses regrets : "J'aimerais écrire la suite de cette histoire. Je pourrais mettre l'accent sur l'ascension et le déclin du clan militaire, sur le découragement du jeune Kita et le ralentissement de son activité d'écriture à Shanghai ainsi que sur le soulèvement des jeunes officiers lors de l'incident du 26 février." Cette suite n'a jamais vu le jour, on ne saura même pas le regard que porte finalement le manga de Tezuka sur le héros du titre, personnage politique qui prône un "véritable socialisme", mais qui est assez ambigu. Le récit commence en 1900 lors de la révolte des Boxers et, après des évocations d'un discours public au Japon du chinois Sun Yat Sen, de la guerre russo-japonaise de 1904 à 1905, il se termine sur l'époque de publication du premier livre d'Ikki Kita en 1906, trente ans avant l'incident du 26 février. Il faut bien préciser qu'Ikki Kita qui parle de "véritable socialisme" est une personnalité d'extrême-droite qui développe, comme c'est illustré dans les dernières cases du manga, une théorie de darwinisme social où "les espèces inférieures évoluent vers un état supérieur : les faibles évoluent pour devenir les forts !" Difficile donc d'évaluer correctement un manga inachevé qui pose le problème d'un capital sympathie de début de récit accordé au fameux Ikki. Le personnage de Sanniang n'est pas non plus le porte-parole des Boxers ou d'Ikki Kita apparemment, elle a été enrôlée de force parmi les Boxers dont elle ne partage pas la rage idéologique. Elle participe avec fidélité à des actions politiques, mais elle a une distance de paysanne naïve qui a d'autres préoccupations dans la tête. Cette paysanne est d'ailleurs un personnage nettement cartoonesque dans ce qui se veut une fresque historique. Elle est supposée être laide, ce que le dessin n'exprime guère, sa silhouette étant plutôt traitée avantageusement et même très souvent son visage n'est pas déplaisant. Pour l'essentiel, elle a un nez retroussé porcin qui la souligne comme moche et comme elle est traitée sur un mode cartoonesque on la voit très souvent faire des grimaces forcément peu valorisantes. Mais, derrière ce truc cartoonesque, il y a aussi un aspect dramatique intéressant qui nous éloigne du comique et nous renvoie à d'autres tendances du génie profond de Tezuka. En fait, elle va avoir une mauvaise première expérience sexuelle, à cause des femmes Boxers qui ne sont vraiment pas reluisantes dans le récit, et ce traumatisme, joint à un autre antérieur (mais je n'explique pas tout), fait qu'elle a des envies de meurtre dès qu'elle voit un homme tout nu, ce qui va arriver à plusieurs reprises dans le manga et ce qui crée un décalage entre la gravité du propos historique et l'action cartoonesque d'une vie individuelle.
Pour ce traitement cartoonesque, Ikki Mandara, manga de 1975, est beaucoup plus proche de MW ou Ayako que de l'autre fresque historique plus tardive (1983) qu'est L'Histoire des 3 Adolf. Mais le manga entre dans un cartoonesque parfois très caricatural que nous avons plus dans Barbara ou dans des récits plus caricaturaux comme Debout l'humanité ! que dans MW ou Ayako qui sont déjà beaucoup plus sérieux.
En revanche, les dessins sont superbes et on a vraiment un traitement expressif proche de la grande époque de Barbara, MW et Ayako. Il y a beaucoup de cases dynamiques qui soulignent l'action, beaucoup de décors naturels qui entrent très clairement en écho avec l'histoire elle-même, plusieurs progressions rythmiques d'image à image comme dans les premières pages quand on a un panorama sur la Nature, puis qu'on vient jusqu'aux crânes disséminés dans les herbes. On a des dessins amusants dans l'esprit cartoon avec un personnage qui crie et tous les autres qui sont retournés dans des positions non réalistes, etc. On a des images contemplatives, séquencées, quelques dessins qui font vraiment vues saisissantes avec des monuments en perspective lorsqu'est racontée la guerre des Boxers. On a les lignes troubles fantasmagoriques pour représenter la folie de l'attaque des femmes boxers contre les occidentaux et tout ce qui représente l'Occident : train, etc. Il me semble aussi remarquer une allusion au volume des aventures de Tintin Le Lotus bleu contre lequel les Japonais amateurs de bandes dessinées ne seraient pas braqués : "ça fait un tout petit peu mal au début. Mais après tu ne sentiras plus rien..." Du point de vue graphique, la lecture d'Ikki Mandara a été pour moi un véritable régal, je ne lis pas qu'un récit en images, je déguste l'art de la mise en page d'un maître mondial de la bande dessinée.

davidson
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le 13 août 2019

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davidson

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