Si le Juge Bao étonne par sa double nationalité franco-chinoise, ainsi que par son format, qui n'est en fait qu'un format traditionnel chinois, il faudra remarquer une chose plus étonnante encore au sujet de cette bande dessinée : le simple fait que ce n'en est pas une. Oui, réjouissons-nous d'avoir un casting d'auteurs international. Soyons épatés qu'un scénariste français, originaire du milieu de la télévision, réussisse à redonner vie de façon crédible à un personnage autant historique que légendaire, issu d'une culture et d'une tradition n'étant pas les siennes. Félicitons la démarche éditoriale proposant un tel ouvrage, ici en France, au milieu de tous ces mangas et BD variées. Notons enfin à quel point il va être difficile de classer le livre en librairie.

Mais surtout, soulignons le remarquable travail du dessinateur : réalisé à la carte à gratter (bien que certainement ensuite maquetté par P.A.O.), s'avère d'un réalisme photographique convaincant. Et c'est entre autre pour cela que Le Juge Bao n'est pas selon moi une bande dessinée, mais bien plutôt un roman-photo. Ok, ce genre de déclaration prétentieuse mérite explication... Alors, allons-y :

Premièrement, un roman-photo peut-il être considéré comme une bande dessinée ? Non, pas tout à fait. Et ce, non pas particulièrement en raison de l'utilisation de photos. Plutôt, parce que ces photos, extrêmement mises en scène, se retrouvent très figées, et factices. Il faut, d'une façon générale, noter une chose importante sur la photo (que de nombreux penseurs ont noté depuis bien longtemps*) : la photo est tout ce qu'il y a de plus loin de la réalité. Elle semble reproduire la réalité, et cela est trompeur. Pour cause la réalité est mouvement, la réalité est temps et espace. L'instant que propose une photographie est une aberration. Il n'existe pas dans la réalité. Puisque la réalité est ce que chacun expérimente, au quotidien, à travers temps et espace. Ni notre sensibilité ni notre regard (surtout pas notre regard), n'est capable de saisir un tel instant. Et notre mémoire, même lorsqu'elle tente de figer un souvenir en une vue, le fait en télescopant en une image, plusieurs instants, plusieurs vues et perspectives (en quelque sorte, le cubisme est une sorte de réponse à ce constat)...

De surcroît, les roman-photos proposent eux une réalité de pacotille : les attitudes des personnages, joués par des acteurs, sont la plupart du temps poussées à l'extrême, surjouée pour les besoins de la narration. En résulte des postures figées qui sonnent particulièrement faux. Surtout, cette narration est souvent faite d'ellipses épatantes, bien plus grossières que dans une bande dessinée. Et ces ellipses, pour ne pas perdre le lecteur sont souvent accompagnées de commentaires explicatifs, soulignant les moments de l'intrigue de façon exagérée. Par exemple Justine a l'air triste et pensive, la comédienne, pour le faire comprendre grimace atrocement, les yeux tombants et regarde vers le haut. Peut-être même une bulle représente-t-elle dans un contour au flou gaussien, Jean-Claude riant. La case est malgré tout accompagnée de ce cartouche : "Justine est Triste, elle pense à Jean-Claude." Ainsi, toute la valeur narrative qui devrait être celle de l'image elle-même s'annule. Ainsi dans le roman-photo disparaissent d'importants aspects de la bande dessinée : l'illusion de mouvement et la réelle valeur narrative de l'image.

Le travail de Chongrui Nie, le dessinateur, s'apparente quasiment à ce que l'on trouve justement dans un roman-photo. On l'a dit, un graphisme très photographique. Mais, le travail d'Alex Ross, sur Marvels, par exemple, est très photographique, il est pourtant dynamique et vivant. Dans le Juge Bao, les expressions des personnages, la plupart de leurs postures héritent du sur-jeu du roman photo. Et ce, sans compter les intrigues et surtout, certaines scènes... comme celle par exemple où le jeune assistant du Juge, en mission, se fait délester de sa bourse. L'illustration présente assez clairement le vol. Pourtant, elle est accompagnée de cette description : "Dans le dos du jeune Bao Xing, une main habile profite de la confusion..." En vérité, la lecture de ces albums est même rendu difficile par cet aspect par trop figé**. On en arrive à se demander si Chongrui n'a pas justement utilisé de véritables romans photos comme documentation sur laquelle s'appuyer.

Voilà donc pour ce jour, ce que j'avais à dire sur cette série, malgré tout distrayante. Gageons que je trouverais matière à prolonger cette interrogation un de ces jours prochains.

————-

* À lire, notamment, le superbe ouvrage pourtant humblement nommé Sur la photographie de Susan Sontag, chez Christian Bourgois (collection "choix essais", 1982).

** "le travail à la plume de Chingrui Nie est impressionnant, par contre cette dose excessive de réalisme nuit par essence au dynamisme. Rapidement cette BD devient image d'Épinal, un peu attendue et fixe. " dit par exemple un camarade de bavardage, Skulking, sur son propre blog.
colville
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le 27 mai 2011

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