Michel Weyland a cet art de convoquer et de fondre harmonieusement les thèmes les plus propres à susciter de puissantes émotions chez le lecteur adolescent : un monde de rêve aux formes et aux couleurs idéales, des personnages dont la beauté subjugue, l’amour (ici, entre un petit garçon ravissant et une petite elfe), l’écologie (ici, Aria fait la chasse à... des chasseurs qui s’attaquent à la nature), et les traditions mythologiques recomposées.


L’histoire d’amour, c’est donc entre le petit garçon, aux yeux d’un bleu abyssal, et d’une gentillesse parfaite, et une « Elfling ». On est bien dans la famille des elfes dans ce récit, mais avec quelques abus de langage : la petite fiancée ressemble bien plutôt aux fées telles qu’on les représentait fin XIXe-début XXe siècle : charmante petite créature ailée ressemblant à un papillon ; sa spécificité d’elfe n’est donc pas manifeste. Par ailleurs, l’album met en scène des « esprits des arbres » (des arbres qui marchent et agissent de manière humanoïde), et qu’un respect plus pointilleux de la mythologie inciterait à nommer « sylvains », « faunes », « dryades » ou «nymphes ». Tout le pittoresque baroque de représentation de l’imaginaire trouve un continuateur chez Michel Weyland.


Autre histoire d’amour : celle entre le petit garçon et son père, qui n’hésite pas à se lancer dans l’aventure pour prouver son amour à son fils. Très familial, très édifiant.


Il faut une action. Ces Elflings ne deviennent visibles aux humains qu’une fois tous les cent ans, quand ils ont envie de se reproduire. Et là, justement, c’est le moment. Ce qui nous vaut (planche 17) une scène d’enlacements dont on peut penser qu’elle n’était pas forcément du niveau familial attendu dans l’hebdomadaire « Tintin », où cette histoire a été publiée. Donc, à l’occasion de cette manifestation visible, de vilains chasseurs à la sale tête veulent capturer des Elflings pour les exhiber en cage sur les marchés et en tirer de l’argent. Trois chefs d’accusation au moins contre ces méchants : cupidité sordide, métier de chasseur qui s’attaque aux animaux, et prédateurs de l’environnement (puisqu’ils s’attaquent à la forêt en s’attaquant aux esprits-arbres). Ajoutons la lubricité, car l’un d’entre eux est séduit par la plastique d’Aria (là, il a des excuses...). Aria a cette beauté spéciale qui prévalait dans les modes adolescentes des années 1970-1980 : visage large, lèvres pulpeuses sans excès, blonde chevelure bouffante se résolvant en mille frisettes qui – c’est le privilège des héroïnes – ne se défont jamais.


Michel Weyland donne des formes et des couleurs d’une grande beauté à tout ce qu’il dessine, tout en gardant un pied dans le réalisme (portrait peu flatteur des méchants et des personnages secondaires). Son art de créer des architectures de maisons rurales et urbaines au toit en selle de cheval, ornés de têtes de bovins et de cornes en haut des pignons, s’inspire parfois des villages Toraja en Indonésie aussi bien que des toits japonais traditionnels. Ses lourdes chapes de chaume suggèrent le confort et l’intimité des habitations. Vêtements à fourrures, toques à cornes (on soulignera l’importance que revêtent les cornes et les écailles dans le graphisme de Weyland – voir par exemple, ici, le parement intérieur de l’auberge, planches 10 et 11 – et, dans « Les Chevaliers d’Aquarius » les corps recouverts d’écailles).


On peut estimer que certains personnages s’inspirent de modèles réels (planche 10). De même, les arbres-esprits ne sont pas sans rappeler, dans « Le Seigneur des Anneaux », la rencontre entre les héros et Sylvebarbe (fondamentalement issu de la même mythologie). Belles scènes dans une forêt aquatique de rêve, avec des ruines architecturales manifestement inspirées d’Angkor (Bayon avec le profil humain, Ta Prohm avec les arbres poussant sur les ruines, planches 35 et 36).


La morale (et l’idéologie) est sous-tendue par les épanchements émotionnels et idéalistes du courant New Age, dont certains procédés de relations avec l’invisible sont rappelés (planches 38, 40, 46).


Une histoire charmante, pleine de féérie et de bons sentiments.


L'une des richesses des récits de Weyland est de mêler de manière harmonieuse plusieurs thèmes à fort impact émotionnel; ici, l'écologie (sous l'espèce d'une forêt menacée), l'amour (ici, la ravissante romance d'un petit garçon et d'une fée-fleur), et bien entendu les archétypes mythologiques des contes populaires, qui sont dans l'ensemble traités avec un certain sérieux, bien que la série "Aria" ait été destinée, à l'origine, à un public pré- et post-pubère, plus sensible aux fantaisies de l'imaginaire qu'à la vraisemblance de la narration.


Les "Elflings" sont une curieuse catégorie d'Elfes, dont on découvrira au cours du récit qu'ils s'approprient des fonctions habituellement attribuées à d'autres créatures improbables. Si on constate que Jolyce, la petite fée-elfe-fiancée, ressemble aux portraits légendaires des petites créatures ailées et papillonnantes qui courent les contes populaires, on voit que le mot "Elfling" est ici étendu à des êtres habitant l'âme des arbres, qu'on nomme plus souvent ailleurs faunes ou sylvains.

khorsabad
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le 25 oct. 2015

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