Le bien, le mal, le destin, le libre arbitre

Ce tome fait suite à Le Retour (épisodes 1 à 5) qu'il faut avoir lu avant. Il contient les épisodes 6 à 10, initialement parus en 2015, écrits Joshua Williamson, dessinés et encrés par Andrei Bressan, avec une mise en couleurs d'Adriano Lucas.


Mikey et Brennan Rhodes sont toujours en fuite. Ils se sont mis à l'abri dans une caverne pour passer la nuit. Mikey cauchemarde, se souvenant de moments difficiles dans le monde de Terrenos. Brennan le réveille et lui demande de lui parler du Seigneur Roi Lore. Pendant ce temps-là, Aaron Rhodes (leur père) est toujours en salle d'interrogatoire, où il voit passer sa femme Wendy, avant d'être pris en charge par l'agent Kylen de la NSA (National Security Agency).


L'opération camping offre la possibilité aux 2 frères de se remémorer le temps passé, Brennan observant la marque de Nevermind sur l'épaule droite de Mikey. Ailleurs les mages encore en vie décident de conjurer un Diviner pour exterminer le représentant du seigneur roi Lore sur Terre (à savoir Mikey Rhodes).


C'est avec plaisir que le lecteur voit arriver le deuxième tome de cette série Image, parce que l'existence d'un deuxième tome dépend de l'accueil des lecteurs, et n'est donc pas assurée. Ce tome reprend à l'instant où le précédent s'était arrêté, et le scénariste continue d'entremêler la quête de Mikey Rhodes (assassiner les 5 mages présents sur Terre), avec des retours dans le passé et l'explication des motivations des uns et des autres, ainsi que de leurs stratégies. L'idée d'intégrer des éléments d'Heroic Fantasy (épée, magie, créatures fantastiques) sur notre Terre est bien mise à profit, à la fois dans l'intrigue, mais aussi dans les images.


En feuilletant rapidement les pages, le lecteur constate qu'Adriano Lucas a défini une palette de couleurs spécifiques pour les manifestations les plus spectaculaires de la magie. Il y a en particulier l'utilisation d'une teinte rouge vive pour le ciel, mais aussi des teintes bleues pour certaines entités surnaturelles, et du vert fluorescent pour la végétation. Néanmoins il restreint l'usage de ces couleurs à l'intrusion du monde de Terrenos sur la Terre. Sinon, les couleurs utilisées pour Terrenos, ou la Terre sont assez proches, ce qui permet aux personnages d'exister dans un monde ou dans l'autre sans y déparer.


Sur la couverture du premier tome, le lecteur pouvait déceler une influence manga dans le visage du Brennan (le jeune garçon), avec un petit côté Marc Silvestri. Dans ce deuxième tome, ces influences se font beaucoup plus discrètes jusqu'à disparaître, au profit d'images qui privilégient la dimension descriptive, plutôt que les lignes de mouvements. La densité d'informations visuelles est renforcée par la complémentarité aboutie entre les lignes tracées et les couleurs, ces dernières assurant à la fois fonction de contraste entre les différents éléments, celle d'exhausteur de volume, et aussi celle d'installation d'une ambiance chromatique pour une séquence, ou une action donnée.


L'artiste effectue un impressionnant travail sur l'apparence des différents personnages. La plupart ont une stature normale, ce qui fait ressortir la carrure impressionnante de Mikey Rhodes, comme étant justement exceptionnelle. Il sculpte les manifestations de Nevermind (l'entité parasitant le corps de Mikey), pour des formes dérangeantes, empruntant à la fois aux fluides et aux organes humains. La faune de Terrenos est agréable à découvrir (avec une monture pour Mikey qui évoque un cousin des chocobos), ainsi que l'apparition épisodique d'un animal terrestre (un ours très imposant, au moins un grizzli).


Andrei Bressan se montre tout aussi convaincant dans sa manière de représenter le comportement des individus. Il réussit à trouver le ton juste pour les mouvements et les expressions de Brennan Rhodes, encore un jeune garçon, ce qui n'est pas à la portée de tous les dessinateurs. Il sait également trouver les nuances justes pour transcrire les postures particulières d'une femme enceinte. Sa mise en scène fait état de sa compétence en la matière. Les scènes de dialogue bénéficient d'un plan de prise de vue tel qu'elles ne sont pas statiques, le lecteur pouvant regarder le paysage, où les gestes des personnages. Les scènes d'action dégagent toute la force qu'on en attend, tout en restant lisibles, et en conservant des arrière-plans. S'il faut vraiment être tatillon, il n'y a qu'une séquence (une bataille aérienne mettant en jeu un hélicoptère) où le coup porté à l'épée nécessite une forte augmentation de la suspension consentie d'incrédulité, et dans laquelle le pilote et son passager s'en sortent comme par magie.


Joshua Williamson se montre très habile dans sa construction narrative, ménageant un suspense, tout en donnant régulièrement de nouvelles informations au lecteur. Amener des épées et de la magie dans le monde réel se révèle toujours délicat en termes de dosage. Pas assez : les pauvres barbares et autres soldats moyenâgeux tombent rapidement sous les balles. Trop : les mages diverses et variés se jouent des armes technologiques en un tour de main. Ici le scénariste importe peu d'éléments de Terrenos, mais les place dans un environnement sauvage peu peuplé. Du coup malgré leurs capacités magiques, ils ne peuvent pas trop perturber l'ordre naturel des choses.


L'autre difficulté pour le scénariste réside dans la dynamique du récit. Au premier abord, Mikey se retrouve dans la position du représentant d'un méchant sorcier (Lore), vraiment très méchant. Mais à ce point de l'histoire, la confrontation entre le bien et le mal n'est pas encore à l'ordre du jour. Le récit échappe à cette dichotomie simpliste par le positionnement des personnages, et le flou sur la situation réelle de Mikey Rhodes (revenu de Terrenos après une quinzaine d'années d'absence). Williamson joue avec son lecteur en qui se demande à quel point Mikey est perverti par Lore, et le degré d'irréversibilité. Du coup, la situation peut basculer d'un côté comme de l'autre, à chaque nouvelle péripétie.


Le suspense est rendu plus intense par la connaissance parcellaire de ce qu'a vraiment vécu Mikey pendant ces années à Terrenos, et par la découverte progressive que les événements l'ont changé. Le personnage échappe ainsi à la motivation primaire de "Il est méchant parce qu'il est méchant", pour passer à un comportement évolutif, en fonction des événements auxquels il a participé. Cette approche narrative laisse espérer que le méchant de l'histoire disposera lui aussi d'une psychologie dépassant cette même motivation primaire, lorsque son tour viendra.


Au cours de ces 5 épisodes, Joshua Williamson consacre donc la majeure partie des pages, à étoffer la relation entre les 2 frères (avec pour effet de développer le personnage de Brennan), à distiller plus d'informations sur le passé de Mikey (ce qui le rend plus complexe), et à évoquer fugacement les autres forces en présence (ce qui laisse supposer un environnement et un historique étoffés). Du coup le lecteur regrette un peu qu'il n'y ait pas plus de place pour les parents de Mikey, ou pour Rya (son amie).


Le premier tome de cette série proposait un départ courageux, à défaut d'être original, avec une intrusion du genre Sword & Sorcery, dans les États-Unis d'aujourd'hui. Ce deuxième tome confirme l'adresse des auteurs pour utiliser les conventions de ce genre dans une histoire pleine de suspense qui défie les clichés du genre. Ils savent faire exister leurs personnages au-delà de simple marionnettes sans âme. En particulier les 2 frères présentent des caractères différents, façonnés par leur histoire personnelle, et leur histoire commune (avec un paradoxe amusant puisque le plus jeune frère occupe maintenant la position d'aîné).


Le scénariste a conçu une intrigue dans laquelle les révélations sur le passé et le comportement des principaux personnages font apparaître que leurs motivations ne peuvent pas être réduites à l'altruisme ou la méchanceté. De son côté, Andrei Bressan montre au lecteur des personnages à l'apparence graphique bien différenciée, évoluant dans des environnements consistants. Il est aidé par Adriano Lucas qui complète les dessins avec une mise en couleurs à la fois organique et conceptuelle, renforçant les volumes des surfaces des éléments représentés, mais aussi la cohérence des lieux, et la logique des manifestations surnaturelles.

Presence
10
Écrit par

Créée

le 20 janv. 2020

Critique lue 57 fois

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