Si seulement c'était moins bavard.
Tome 1 - Herbert Livingstone, jeune étudiant fana de Darwinisme, est conspué par ses camarades anti-évolutionnistes. Il s'entiche d'une pute, Tatiana, qui le pousse à extorquer de l'argent à ses parents en simulant un kidnapping, et qui le trahit. Son père l'envoie dans la marine, où il se fait violer. Il déserte, est shanghaïé sur un bateau attaqué par les pirates au large de l'Australie.
Tome 2 - Herbie Stone, amnésique, reçoit une initiation auprès des aborigènes, tandis que des chasseurs d'opale tournent autour du sanctuaire des rêves. Cet éveil lui fait délaisser sa révolte pour le plaisir de l'instant présent.
Tome 3 - Stone est devenu un homme. Il a son sampan avec un équipage et son fidèle Malim. Il échappe à des pirates, menés par Belles-dents, un gros black qu'il connaît d'avant. Il rencontre Eugène Dubois, un paléontologue à la recherche du chaînon manquant. Il accepte une cargaison, qu'il prend pour des armes, mais dont il comprend, après qu'elle ait été prise par des pirates, qu'elle est constituée de fossiles. Capturé, avec les archéologues, Stone s'en sort grâce à un bluff très improbable.
Tome 4 - Plus court, c'est un dénouement où Stone confond in extremis sa nemesis, l'infâme Algernon envoyé par les anti-évolutionnistes pour assassiner Dubois et lui faire porter le chapeau. A la fin, Tatiana revient, mais elle meurt.
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Le scénario est le point faible de cette série sinon magnifiquement illustrée et colorisée par Gabrion. Le premier tome est éprouvant, avec un héros qui n'est qu'un punching ball pour des sadiques unidimensionnels, et l'attitude suicidaire du héros, qui préfère chercher la mort ou pleurer plutôt que de se révolter frontalement, a quelque chose de rance qui empêche de s'identifier à lui. Ses monologues, genre "je m'adresse à Dieu pour lui dire que je ne crois plus en lui", vieillissent sacrément mal et donnent l'impression d'avoir été écrit par un adolescent.
Mais la série va en s'améliorant. Arrivé au tome 3, l'Indonésie devient un personnage à part entière, et l'on pensera à du Théodore Poussin, en moins bien écrit mais avec un style graphique bien plus beau et détaillé, dans la lignée d'un Moebius ou d'un Pratt. J'aime bien le style de Gabrion, même s'il a parfois du mal à choisir entre les paysages et ses expressions faciales très détaillées (et la plupart du temps réussies).
Mais avant de détailler ce que j'aime, finissons-en avec les problèmes. Premièrement, on a ici un faux récit d'initiation, le héros ne progressant pas vraiment : même dans le dernier tome, il a encore des accès de révolte assez puérils. Mais le vrai problème est tout simplement que l'on parle trop dans cette BD. Trop souvent, les bulles ne servent qu'à décrire l'action de manière redondante, du genre "Hé bien, mettons-nous en marche", ce qui donne un aspect laborieux à l'écriture. "Less is more", comme on dit, et au bout d'un moment, j'ai décidé de me concentrer seulement sur les planches, et de faire comme si toutes ces bulles niaises n'étaient pas là.
Et combien cette BD serait plus grande si elle était quasi silencieuse ! Elle pourrait facilement s'économiser ces torrents d'exposition, tant le graphisme de Gabrion est expressif en soi. J'aime énormément le jeu sur les couleurs, ces tons inondés de vert, qui rendent bien la luxuriance de la Malaisie, ou ces dégradés de jaune pour l'éclairage des tripots indonésiens. Tous les plans larges de paysage sont à couper le souffle et ne donnent envie que d'une chose : en faire des agrandissements pour les afficher chez soi. Sans le texte, j'aurais même accepté les parties rocambolesques de l'intrigue (encore que la mort de la prostituée à la fin, cela semble assez gratuit, juste histoire de finir sur une note dramatique).
Bref, supprimez mentalement toutes ces bulles du genre "Damnation ! Ils ne nous épargnent rien !" et prenez une grande goulée d'air marin.