La Bataille, ou quand Napoléon a commencé à perdre à Essling

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Ça y est, c’est la dernière ligne droite, l’offensive est lancé. L’armée française se prépare, autant que celles de Belgique et d’Angleterre et bientôt le Lion rugira le début du combat. Ou plutôt de sa reconstitution, 200 ans après, et qui risque bien d’attirer la foule des touts grands jours (200 000 personnes attendues, vendredi et samedi).


Comme tant d’autres producteurs de souvenirs, pas de quoi faire table rase et morne plaine du côté des éditeurs. Pourquoi s’en priver, si certains ont bien fait, d’autres auraient pu s’abstenir (j’en touchais déjà un mot ici). Assurément, Dupuis fait partie des premiers en jouant sur la réédition intégrale de La Bataille, triptyque initié (dès 2012) par Frédéric Richaud et Ivan Gil sur base du fameux roman de Patrick Rambaud et qui reçut le Prix Historia de la meilleure bande dessinée historique en 2014. Une réédition de bien belle facture ne fût-ce que par sa couverture sobre mais efficace et faisant penser à un tout bon livre d’histoire. Voilà qui plaira autant à ceux qui ont déjà lu La Bataille qu’à ceux qui ne connaissent pas ce formidable récit guerrier en quelque 162 planches.


Mais la bataille, laquelle? Pas celle de Waterloo, que vous pourrez trouvez ailleurs (Sandawe, Casterman… tant d’auteurs s’y étant intéressés), mais bien celle d’Essling en mai 1809. Es… quoi? Essling, les historiens la connaissent à coup sûr mais pour le lecteur lambda, rien n’est moins sûr. Et pour cause, bien sûr que cette bataille est moins connue que les autres, pourtant c’est la première grande hécatombe de la guerre moderne. Expéditive en plus, puisqu’en moins de deux jours, heure pour heure, dent pour dent, plus de 40 000 trouveront la mort, au champ d’honneur, dans les champs de blé. Mais sans que, pourtant, il y ait de vainqueur entre Napoléon et l’Archiduc Charles. Oh, zut, j’ai spoilé la fin! Mais non, parce que l’intérêt principal n’est pas dans une quelconque chute (au contraire de Waterloo, dernière bataille de Napoléon) mais bien dans son déroulement, fiévreux et sanglant, violent et brumeux.


En effet, La Bataille, c’est un drame choral dans un enfer sans pitié, un charnier austro-français. Choral car le récit de cette guerre époustouflante et fratricide de trente heurs se vit (réellement) à travers les yeux de personnages réels (l’état-major de Napoléon, Berthier, Lannes, Espagne, Masséna le colonel et agent de liaison Louis-François Lejeune, Henri Beyle dit plus tard… Stendhal) mais aussi de personnages fictifs x et y, voltigeurs ou sapeurs, soldats fidèles ou en déroute. De Viennes aux lieux-dits: Aspern, le Petit-Pont, le Grand-Pont et Essling, forcément. Ainsi, durant trente heures le génie français va-t-il, d’une part, essayer de construire un pont sur les eaux rapides du Danube et, d’autre part, tenter de résister aux forces autrichiennes sûres de leur fait. Dans ce huis clos des grands espaces guerriers, Napoléon tombe de son cheval blanc mais ne doute pas, il y a un viol d’une femme autrichienne par un soldat rendu fou, le sang gicle, les hommes se perdent comme les balles, la vie prend fin et beaucoup comprennent qu’ils n’en reviendront pas. Trente heures pour un non-retour.


En prenant une base solide comme le roman de Patrick Rambaud (qui a obtenu des prix aussi prestigieux que le Goncourt ou le Grand prix du roman de l’Académie française), Richaud et Gil étaient plutôt bien partis! Mais encore fallait-il concrétiser les promesses de cette bataille oubliée et unique en son genre? Chance, le résultat dépasse toutes les espérances. Le scénario et le découpage sont impeccables entre temps-mort et fulgurances guerrière, entre dialogues et actions sans un mot. Dans le dessin, aussi. Ivan Gil est un virtuose, l’excellence espagnole incarnée: dans son trait, on lit la folie de la guerre, elle nous submerge, nous envahit. Quelle horreur passionnante! Sans oublier la coloriste Albertine Ralenti qui a du faire un travail colossale pour mettre sur cette ouvrage les couleurs du sang, de la mort et de l’inespoir.


Au final, voilà une intégrale du plus bel acabit. Même, peut-être faudra-t-il privilégier cette réédition plutôt que les tomes séparés, tant tout se lit d’une traite haletante. Les trois tomes se suivent, sans interstice (on ne saurait dire où s’achevait le premier tome et où commençait le deuxième, par exemple). Avantage à cette intégrale, donc, d’autant plus qu’elle ajoute, en bonus à l’oeuvre initiale, un dossier documentaire et graphique, light mais terriblement éclairant qui nous mène, enfin, à… Waterloo.


Voilà, sans doute l’un des plus précieux et des meilleurs achats que vous pourrez ramener du champ de bataille. Ou une excellente manière de suivre à distance et dans votre la reconstitution d’une guerre sans précédent, sans mettre un pied à Waterloo

Alexis_Seny
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le 18 juin 2015

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Alexis Seny

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