J'ai le postérieur entre plusieurs chaises. Si je pressens une diversité de niveaux dans la lecture de cette bande dessinée, trois seulement m'interpellent réellement. Et pas avec la même efficacité, ce qui m'a un peu déçu.

Un premier degré d'imprégnation instantané. On pénètre de plain-pied dans un univers pessimiste et angoissant qui s'avère immédiatement fascinant, presque hypnotique. Un monde déshumanisé, une société normalisée, rationalisée et sclérosée où tout concourt à l'aliénation de la volonté au profit de la bonne marche du système. Une atmosphère étouffante, décuplée par la beauté crépusculaire et glaciale du graphisme. Des couleurs directes, très sombres et des expressions figées qui accentuent considérablement cette sensation de désespoir, de long et insondable cauchemar et qui affirment l'inexorabilité d'une misérable condition humaine. J'aime beaucoup.

Le second degré est plus allégorique. Amputation physique des protagonistes pouvant s'appréhender aisément comme une image de leur castration psychique. Représentations de marionnettes vivantes qui, tout en louant la gloire de « la bulle », dévoilent en réalité les dessous de la machine, dénonçant par la même les rouages sur lesquels repose toute idéologie, qu'elle soit absolutiste ou non. Quelques petits cailloux (j'aurais préféré de gros pavés) jetés dans le miroir des illusions et qui sont autant d'appels à l'esprit critique et autant de tentatives pour démontrer toute la relativité du concept de liberté, pour jauger, par extrapolation, le potentiel et la capacité de révolte de l'être humain. Des « ficelles » diversement appréciées selon qu'elles apparaissent plus ou moins grosses.

Cette révélation des mécanismes, effet de distanciation à demi avorté, induit un troisième degré de questionnement plus sous-jacent. À savoir, le rôle du théâtre, et par extension la position de l'art, dans le processus incitatif d'éveil des consciences du public et de remise en cause de sa vision du monde. Oui, mais encore ?

Je suis conquis par l'approche visuelle et directe du récit, en revanche, les autres pans de l'oeuvre me laissent un peu plus circonspect. J'ai un peu l'impression d'être invité à la table du raisonnement politique, philosophique et artistique pour y déguster un plantureux repas et l'on ne me sert finalement que les hors-d'œuvre. Alors, quant à en conseiller l'achat, je dirais oui à ceux qui se satisferont d'une fable futuriste très noire doublée d'une mise en appétit cognitive, et non aux autres qui, comme moi, préféreraient une exploration plus spéléologique de voies méditatives prometteuses.

Peut-être fallait-il ressentir l'ensemble comme un simple cri ?
Sejy
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le 19 août 2011

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Sejy

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