Un curieux mélange d'atmosphères se dégage de ce récit : ce sont les tribulations d'un petit garçon juif pendant la Deuxième Guerre Mondiale. il est ballotté de lieu de vie en planque provisoire, au gré des sentiments variables de ceux qui traquent les Juifs, et des possibilités matérielles de ceux qui veulent les protéger.


Lieux de vie : on passe d'un petit dortoir dans les combles d'un presbytère rural à une salle de classe, une maison de correction, et une ferme. L'ensemble est peu ou pas localisé en France, et pas de date très précise. Seul Paris est suggéré (planche 17), ce qui est confirmé par la présence du "Palais Berlitz" et de l'exposition "Le Juif et la France" (planche 22). Comme on parle du passage de fuyards en zone Sud, on peut supposer qu'on est plutôt au début de la guerre, lorsque la zone Sud n'était pas occupée par les Allemands. Comme l'étoile jaune (dont il est question) n'a été rendue obligatoire qu'en juin 1942, on pourrait dater le récit quelque part entre juin 1942 et novembre de la même année, où, du fait de l'invasion de la zone Sud par les Allemands, passer en zone Sud ne présentait plus d'intérêt pour les fuyards.


Ceux qui traquent les Juifs : l'instituteur-maire du village (planche 9), qui veut placer le petit Simon dans un orphelinat; les copains de Simon, qui le tabassent et le traitent de "sale Juif" (planches 11 et 27); les gendarmes français, qui veulent le placer en camp d'internement (planches 14 et 15); les soldats allemands (ça va de soi) (planches 31 et 32); et on pressent que la Milice va s'en mêler (planche 46). Rafles, trains vers les camps (planche 34)...


Ceux qui veulent sauver les Juifs : un curé de village (planches 4, 9 et 10 - ça change, de voir un portrait "positif" de prêtre dans la BD contemporaine; le discours dominant étant d'en faire des tyrans obscurantistes, obsédés sexuels et pédophiles réacs, assaisonnés d'allusions à l'Inquisition quand on veut faire bonne mesure); un brave épicier en voiture (planches 16 à 18); Tonino, un semi-voyou (Juif également) finalement assez sympa (planches 23 à 26); ceux qui ne posent pas trop de questions; et même un soldat allemand (planches 32 et 33), qui fait celui qui n'a rien vu.


On retrouve les décors et les costumes de cette ancienne France irrémédiablement perdue sous le tsunami de l'urbanisation, de la modernité, et de la culture de masse : le bénédicité (planches 2 à 4); l'église de village active et efficace; les culottes anglaises gigantesques sur chaussettes hautes (planche 5), la salle de classe avec estrade, bureaux inclinés et encriers (planche 7), fourgonnette à calandre verticale (planche 18), prêtres à soutane et à col dur (planches 4 et 18).


La partie la moins réussie concerne l'introduction de la passion de Simon pour les oiseaux en général, et pour une "Dame Blanche" (une chouette effraie, censée annoncer le malheur), à plusieurs reprises dans l'épisode. On ne comprend pas trop ce que ce thème vient faire là; il n'apporte pas grand chose à l'action, sinon des moments plus calmes et un peu poétiques (planches 12 et 13 - et, planche 43, un vrai texte poétique sur décor de neige, dont on aimerait que l'auteur soit cité : c'est Théophile Gautier, dans "Fantaisies d'Hiver", le genre de poésie adorable que les enfants apprenaient à l'école; aujourd'hui, parler de Gautier à l'école relève du blasphème : ce n'est ni un rappeur, ni un homosexuel !); on croirait peut-être que l'oiseau a vraiment la vertu de prédire le malheur, mais le lecteur n'a pas besoin de cela pour deviner que le sort d'un petit Juif pendant cette guerre n'est pas un lit de roses. Ceci dit, le petit Simon a l'air vraiment doué : il sait accomplir toutes les tâches d'une ferme sans apprentissage (planches 37 à 40).


Le dessin, semi-réaliste, est agréable; les contrastes de couleurs et de luminosité sont en général simplifiés (sur les visages, ombres en brun clair, lumière en couleur crème lumineuse; pas de maniaquerie sur les rides et les détails).


Un album honnête, un peu politiquement correct malgré tout, en cédant à la sempiternelle commémoration des malheurs de l'Occupation. Ca évite de parler des nazis actuels.

khorsabad
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le 11 juin 2015

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