Cet épisode donne une impression de composition insuffisamment lissée. Certes, il est dans la droite ligne du tome 3 : après avoir bien joué aux paradoxes temporels, et avoir conclu - peut-être un peu vite- qu'ils s'en foutaient, Kalish, Mario et leurs équipiers doivent reprendre la guerre là où ils l'avaient laissée au moment où ils se sont titillé la fibre relativiste en revenant dans le passé.

Et ils l'avaient laissée où ? Après le découpage d'Uranus en deux hémisphères incandescents. On se souvient que les Compagnies Industrielles de Colonisation (impérialistes cupides, inhumains et sans visage) avaient menacé de détruire la terre comme ils avaient détruit Uranus. Eh ben, ils persistent et signent dans cet épisode.

Donc, logiquement, Kalish et ses subordonnés vont chercher à contrer ce projet. Et ils mettent le paquet : prendre du pognon sur la vieille base de Titan (la fille de l'Amiral jouit presque en vidant le compte qui... lui appartient), passer à New York retrouver de vieux copains super-hyper-bardés de diplômes, qui peuvent tout ou presque, et au premier chef pirater tous les systèmes informatiques du monde connu - donc ceux des CIC, localiser la saloperie qui menace la Terre de destruction, et aller lui régler son compte...

Bien sûr, Kalish est un génie, mais enfin, résoudre tous les problèmes que cela pose à l'escadrille Purgatory reste quand même un peu invraisemblable : tout réussit, tout marche comme sur des coussins d'air, sauf...

Là où cela touche à la composition, c'est le contraste impressionnant entre les deux moitiés de l'album : la première moitié est rédigée sur un ton inhabituellement léger, souriant, optimiste, euphorique, qui est inédit quand on le compare aux sombres tragédies des premiers épisodes: Kalish complimente Mario, Kate est hilare en se cambriolant elle-même, les problèmes de voyage de Titan à la Terre sont réglés d'un revers de main, l'escadrille Purgatory s'habille soudainement en civil (ce qui leur donne un air presque fréquentable), Mario se paie le luxe d'une scène de farce avec des policiers et d'une bonne baise avec Williamson, l'équipe fond de plaisir sous la pluie de New York, et devant des cheeseburgers et des milk-shakes... bref, le Club Med après l'apocalypse uranienne, ça fait un choc...

Deuxième moitié de l'album : ça se gâte vraiment, et l'angoisse cosmique des premiers volumes revient... Choc des contraires, pas forcément facile à assumer par le lecteur, qui peut trouver ce contraste d'une exagération un peu baroque.

L'approfondissement des personnalités se poursuit : Mario (pas surnommé comme ça pour rien) est un traumatisé du coeur, victime d'une grosse salope. El Moudden, la violée chronique, va peut-être faire la paix avec son violeur - et avec elle-même du même coup... Quant à l'Amiral, il broie du noir, croyant avoir perdu sa fille à jamais.

Problème dans les rapports avec la technologie, et la culture en général : Bajram a beau avoir réussi à mettre en scène un drame cosmique de grand intérêt, il reste bien limité quand il s'agit d'imaginer la science du futur. Aussi est-on un peu déçu que les références scientifiques et techniques soient datées (trop datées) de l'état où elles se trouvaient au moment de rédaction du scénario, soit entre 1998 et 2001 :

* après nous avoir trimballés pendant tout le tome 3 pour jouer au paradoxe temporel, et nous dire au final que cette théorie était un peu de la foutaise, nous constatons que, dans ce tome 4, tout l'album nage dans un paradoxe temporel; en effet, pendant que Kalish et ses copains jouent à qui gagne perd avec les CIC, leurs doubles temporels sont dans une prison militaire...

* la marque "elf" possède des cuves bien classiques sur Titan. Voilà une marque qui défie le temps...

* Kalish se croit obligé d'expliquer à Mario les dangers des accélérations dans le vide, avec une métaphore culinaire. Si on n'en sait pas plus sur la gravitation quand on est un pilote cosmique comme Mario, il faudrait qu'il évite de monter sur une chaise...

* les copains universitaires de Kalish affichent une panoplie de doctorats exactement libellés comme aujourd'hui dans les cursus universitaires; la science, visiblement, n'a pas changé beaucoup... Et leurs compétences extraordinaires se limitent à savoir pirater des banques de données. Tu parles de science-fiction !

* Kalish et ses copains vont attaquer les CIC à bord... d'une bonne vieille navette antique de la NASA.

* La station spatiale géante alpha (cruciale dans le scénario) n'est autre que la bonne vieille station spatiale internationale actuelle, évidemment accrue de masses colossales d'éléments supplémentaires...

* Comme par hasard, les rares allusions culturelles contenues dans l'album se rapportent à des productions appréciées entre 1998 et 2001 : "Don't be cruel", "Oh when the saints"... Visiblement, les goûts du public ont été figés pour un bon siècle...

* surtout, Kalish se fait avoir au mauvais moment, en dépit du stock de génies scientifiques auquel il a fait appel, par une bête histoire d'empreinte rétinienne, bien corporelle, alors que ces mêmes empreintes rétiniennes ont servi à piquer du pognon trente pages plus tôt...

Vu les menaces qui pèsent sur la Terre, Bajram ressent brutalement le besoin de nous faire savoir que notre bonne vieille planète est irremplaçable, belle, et que nous y sommes irrémédiablement attachés. D'où, peut-être, l'étalage de jouissances à New York (encore que le cheeseburger soit rarement représenté comme une image valable du Paradis Terrestre), et les réflexions de l'Amiral sur une photo de sa fille dans un paysage de montagne...

Les huit dernières pages, enfin, sont du grand Bajram. Fin du monde, éruptions de magma, planète sciée en deux comme par une lame de rasoir transparente, et un mur noir circulaire qui s'étend dans l'infini...

Bajram nous envoie un message fort pessimiste sur la capacité des hommes à éviter le pire. Mais on ne peut pas lui en vouloir : au moment même où il publiait son album, vers septembre 2001, des images d'apocalypse semblables apparaissaient à New York...

Approximatif sur le plan scientifique, mais combien pertinent dans le génie de la mise en scène poétique et apocalyptique !
khorsabad
7
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le 1 sept. 2012

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khorsabad

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