« Les 110 Pilules » est une adaptation d’une nouvelle érotique Chinoise de Jin Ping Mei, par Magnus, qui n’est pas le dernier pour picorer dans l’assiette. La nouvelle en elle-même est, ma foi, fort intéressante et pas vraiment pour les attributs physiques. Elle questionne surtout la recherche du désir. C’est un sujet maintes fois traités, pas forcément par le prisme érotique, mais en prenant une voie pharmaceutique, avec une limite d’exemplaires, on se trouve devant un cas paradoxal où le désir peut prendre une proportion d’ivresse, et pourtant elle a une contrainte dont il est facile de ne pas tenir compte. C’est ce que fait aisément le narrateur d’ailleurs, mais en parallèle, les femmes sont de plus en plus blessées, physiquement, par cet appétit qui ne fait qu’accroitre, tandis que le pouvoir de la pilule abaisse certaines mœurs, comme l’approche d’une mineure. C’est cette illusion d’impunité, lié aux comprimés, qui fait basculer son héros dans l’insatisfaction inapaisable et la jalousie inappropriée. Donc, la nouvelle associe la pilule à l’addiction, dans un « Rise and Fall » sexuel, où les besoins humains ne tournent qu’autour du désir. Mine de rien, c’est une cohabitation entre un élément présent en nous depuis la nuit des temps et sans lequel on n’existerait pas, le désir sexuel, et un élément qui ne cesse d’accroitre depuis deux siècles, à savoir la pilule. La question est : le désir primal doit-il s’accommoder de produits moderne pour se sustenter ? Nos sociétés, de plus en plus avide de matérialisme qu’on leur vendrait comme ensorcelantes ou définitives, pourrait-elle un jour conduire à sa perte sexuelle, comme la misère des chairs que déploient nos publicités Occidentales, qui amènent tant de jeunes gens à des complexes ? Je vais peut-être trop loin, c’est vrai, mais c’est parce que les thématiques de « Les 110 Pilules » peuvent être étirées à un plus large domaine qu’à un simple objectif excitant. Il y a les œuvres pornographiques, les œuvres érotiques et les œuvres que je dirais érotisantes, soit qui parle bien plus du rôle du sexe chez l’individu que la pratique en elle-même ; dans le cinéma on pourrait y mettre « Le dernier tango de Paris » de Bernardo Bertolucci par exemple. Pour moi, « Les 110 Pilules » est de ceux-là. Malgré ses défauts de répétitions ou de dialogues parfois un peu ridicules, mais cela tint davantage à l’adaptation sans doute.
Lorsque nous évoquons la chair, les sens éveillés peuvent très vite amener à un feu ardemment désireux de brouiller les limites. Et c’est ce que Magnus exécute, d’une encre Chinoise délicate (un peu trop même selon moi). Ses traits noir et blanc, les visages très expressifs de ses personnages, les cases aux frontières fondues dans les impressions, les sexes jamais montrées de manière vulgaire (au contraire, les parties les plus intimes sont plutôt dessinés minimalement), et surtout les femmes donnent envie ! Elles sont redessinées comme des créatures idylliques, précieuses, trop hautes par rapport au protagoniste qui, lui, semble déjà d’un autre temps, tandis qu’elles sont toujours comme on en croiserait demain. Spéciale pensée à la jeune fille aux cheveux courts, qui fait presque anachronique, et ça rend très bien.
Ainsi se déroule des tribulations sexuelles qui, en plus de faire lever l’ancre et mettre le mât en place, fait hisser les voiles de la pensée. Les amarres peuvent être larguées…