Venise a résisté aux Gênois et aux Turcs, mais elle a tout de même fini par être envahie par une tribu autrement plus barbare: les touristes. C’est sur ce constat désabusé que s’ouvre "Les enfants du Doge", le premier tome du diptyque "Marina". Dès les premières pages (et même dès la couverture, au style magnifiquement moyenâgeux), on sent toute la maîtrise du dessinateur italien Matteo, aussi à l’aise dans la Venise d’aujourd’hui que dans celle du XIVème siècle. Par contre, il faut quelques pages de plus au lecteur pour découvrir la noirceur du scénario de Zidrou, dont les personnages aux mines patibulaires sont plus cruels et plus fourbes les uns que les autres. Rien n’est épargné à la pauvre Marina, la fille du Doge. En 1342, son père, qu’elle n’a plus vu depuis trois ans, décide de l’échanger avec le fils cadet du sultan en gage d’amitié entre les deux cités. L’échange doit avoir lieu en pleine mer, au large des côtes de Milos. Mais les choses ne vont pas tout à fait se passer comme prévu, étant donné que des pirates grecs se sont emparés du bateau turc en massacrant tout l’équipage, y compris le fils du sultan. Marina et son petit frère Zuane font certes partie des seuls survivants, mais leur sort n’est pas nécessairement plus enviable, car ils vont découvrir que l’Enfer sur Terre existe. Les pirates les emmènent en effet sur la terrifiante île de Doulopolis, une prison à ciel ouvert où sont retenus les otages de familles fortunées. Leur seul espoir de fuite? Que leurs parents paient la rançon demandée. Ce qui, bien souvent, n’arrive jamais. Et lorsqu’un otage est malgré tout libéré, "une partie de lui reste pour toujours prisonnière de cette île". Mutilée, violée, Marina continue pourtant à se battre avec l’énergie du désespoir pour revoir un jour Venise… tout en ignorant qu’en réalité, son père craint plus que tout qu’elle y parvienne, car il veut éviter de voir la prédiction de Dante Alighieri se réaliser: "c’est elle ou Venise!" Dans "Les enfants du Doge", le premier des deux tomes de "Marina", on suit d’un côté le destin tragique de la jeune fille du XIVème siècle et de l’autre celui de Federico Boccanegra, un éminent professeur d’histoire qui vit à notre époque et qui rêve depuis 50 ans de comprendre le secret de Marina la maudite, dont le sort funeste continue à être chanté par les gondoliers de la ville. "Mieux vaut baiser le cul du diable que les lèvres de la Marina", dit leur chanson. Une histoire trouble et fascinante, menée avec beaucoup de maestria par Matteo et Zidrou. Attention: cet album n’est pas à mettre entre toutes les mains… car la Venise que nous décrivent les deux auteurs est très loin de la Venise de carte postale dont raffolent la plupart des touristes. Autant le savoir avant de plonger dans cette envoûtante aventure vénitienne.
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le 26 nov. 2013

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