Ce tome contient les 5 épisodes de la minisérie du même nom, initialement parus en 2014, coécrits par Kim Newman et Maura McHugh, dessinés et encrés par Tyler Crook, avec une mise en couleurs de Dave Stewart.


L'action se déroule en 1881, en Angleterre. Sir Edward Grey a été appelé à la morgue pour examiner le cadavre d'Arthur Neal, appointé par le Lord Chamberlain pour enquêter sur les entreprises souhaitant recevoir l'approbation de la Couronne pour leur produit. Ce monsieur enquêtait dans la ville d'Hallam, à la campagne, sur le processus de fabrication d'un élixir aux propriétés pharmaceutiques. La Reine a souhaité que Sir Edward Grey reprenne l'enquête d'Arthur Neal.


À Hallam, Sir Edward Grey découvre une ville modèle, construite par Horace Poole, un riche entrepreneur qui a fait construire une cité ouvrière pour loger sa main d'œuvre. Il se rend à l'hôtel pour prendre une chambre et visiter celle de feu Arthur Neal. Sur place, il écoute les fariboles de l'hôtelière qui lui raconte une histoire d'étrangers espions allemands infiltrés, à dormir debout.


Ce troisième tome des aventures de Sir Edward Grey constitue une première dans l'univers étendu d'Hellboy. C'est la première fois que Mike Mignola laisse le contrôle total d'une de ses créations à d'autres auteurs. Kim Newman est un écrivain à part entière, voir par exemple Anno Dracula ; et Maura McHugh fut une entraîneuse d'équipe de basketball.


Le lecteur de comics chevronné sait que la participation d'un "vrai" écrivain à un scénario ne constitue pas un gage de qualité automatiquement, car le mode d'écriture d'un comics (ou d'une BD en général) n'est le même que celui d'un roman. De fait, cette histoire commence de manière très classique, avec le pourfendeur de sorcières qui doit se rendre dans un village isolé pour enquêter sur un meurtre étrange. Le classicisme de cette ouverture est compensé par plusieurs idées, comme celle de l'élixir miracle, du mandat royal (Royal Warrants of Appointment), ou de la cité ouvrière (de type utopie patronale).


Kim Newman fait rapidement intervenir le surnaturel, le montrant au grand jour, faisant reposer le suspense sur une autre composante. Sans grande surprise, il y a un secret bien caché et coupable dans la famille fortunée qui possède la ville. Avec plus d'originalité, il y a une composante féminine qui émerge en cours de route, mais en restant dans une dichotomie simpliste.


Les scénaristes écrivent un mystère très classique dans une époque clairement identifiée. D'un côté le déroulement de l'intrigue suit un schéma très classique, sans réelle surprise (au vu de la créature surnaturelle, le lecteur ne sera pas étonné de voir arriver une montée des eaux). D'un autre côté, il y a assez d'éléments pour que l'ambiance de l'époque soit bien rendue. Il y a ce charmant policier (George Lawless) qui voue une haine farouche aux allemands, Sir Edward Grey qui représente la reine, et une technologie de fin dix-neuvième siècle. L'histoire se lit donc avec plaisir, mais avec un rythme assez pausé, et une structure archétypale.


C'est au tour de Tyler Crook d'illustrer une histoire de Sir Edward Grey (dessinateur qui avait commencé sur la série BPRD, en tant que remplaçant de Guy Davis. À l'instar des scénaristes, il effectue un travail de professionnel, partagé entre visions saisissantes, et narration visuelle pépère. La page d'ouverture offre une vision splendide avec Edward Grey en train d'écrire, le beau stylo plume, les motifs du papier-peint, le pendentif, la chemise, etc. La séquence suivante permet d'observer l'organisation et les outils de la salle de dissection.


Au fil des épisodes, le lecteur apprécie plusieurs trouvailles visuelles, comme les 2 pages façon bande dessinée du début du vingtième siècle pour mettre en scène la théorie d'agents secrets allemands infiltrés, les installations de la distillerie pour fabriquer l'élixir, ou encore la vision des sorcières dans le marais. La gare d'Hallam évoque bien l'époque correspondante, et a montée des eaux donne lieu à des images sympathiques.


Mais au fur et à mesure que le lecteur s'implique dans les représentations réalisées par Tyler Crook, il remarque aussi que tous les éléments d'architecture ne sont pas aussi bien travaillés. La grande salle de réception d'Horace Poole présente un volume peu crédible, et les escaliers se raccordent bizarrement à la pièce. Les apparitions des créatures surnaturelles à base d'anguille sont représentées de manière très littérale, alors que le lecteur suit les séries de Mignola en particulier pour la qualité de la conception graphique des monstres. La conception globale de l'inondation se limite à montrer de l'eau envahissant les rues et les champs, sans que là non plus le lecteur ne puisse y croire. Visuellement Tyler Crook n'arrive pas à faire croire à la plausibilité et à la cohérence de cette montée des eaux, venue de nulle part.


Au final, ce tome se lit avec plaisir parce qu'il contient plusieurs éléments perspicaces et des scènes qui font mouche. Mais de l'autre côté, dès que le lecteur se sent s'immerger plus profondément dans le récit, qu'il s'agisse de l'intrigue ou de l'environnement, il se rend compte qu'il n'y a guère de profondeur pour s'enfoncer.


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- Beware the ape (8 pages, scénario de Mike Mignola, dessins de Ben Stenbeck, couleurs de Dave Stewart) ' Sir Edward Grey intervient dans la demeure de M. Bagsby, à Londres en 1880.


Par comparaison avec l'histoire principale, le lecteur a du mal à croire que Mignola et Stenbeck arrivent à mettre autant de choses en si peu de pages, avec une caractérisation impeccable de Sir Edward Grey. En prime ce récit établit un lien organique avec Double assassinat dans la rue Morgue d'Edgar Allan Poe.

Presence
5
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le 9 févr. 2020

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