Les plumes
5.7
Les plumes

BD (divers) de Anne Baraou et François Ayroles (2010)

Entre satire et croquis de moeurs à peine grossi, voici les échanges quotidiens de quatre copains, tous écrivains, divers par leurs personnalités et leur succès de librairie, mais tous visiblement compétents ès-techniques littéraires.

Côté maîtrise des dialogues entre techniciens de l'écriture, Anne Baraou assure. Déjà, il faut couvrir les pages de garde de centaines de définitions littéraires authentiques du mot "écriture". Puis il faut maintenir tout au long de l'album un ton suffisamment mondain, cérébral et ésotérique dans les dialogues entre les quatre copains pour qu'on ne puisse nier que la documentation sur le monde littéraire repose sur du solide. L'album serait d'ailleurs un peu plus drôle si tant de répliques se laissaient comprendre plus rapidement. On est souvent dans la métaphore, le trait d'esprit, le double sens, la quête désespérée d'une effet d'écriture inédit.

Anne Baraou, membre de l'OuBaPO (qui est à la BD ce que l'OuLiPo est à la littérature), livre ici une belle réussite technique, consistant à élever le langage quotidien du lecteur au niveau des codes linguistiques accoutumés des scribouillards parisiens de second ordre, qui comptent essentiellement sur la technique et sur les procédés pour pondre une oeuvre qui se fasse remarquer par les médias - et le public !

Les personnages sont assez vraisemblables pour nous inviter à entrer dans leur logique et leurs petits délires lexicaux, mais pas assez pour nous faire croire que leur vie frimée-rêvée-posée est un reflet sociologique fidèle de l'élite plumitive des petits bistrots parisiens.

Le côté cérébral des personnages domine : leurs interactions sociales, en général concertées et calculées, ne provoquent chez eux pas beaucoup d'émotions (sauf, bien sûr, lorsqu'il s'agit de filles, de cul et de sexe, faut pas pousser non plus), mais plutôt des appréciations légèrement blasées sur un ton chic et feutré, souvent aux confins du cynisme.

Entraînés par leur effort de maîtriser la langue, les copains apprécient et évaluent leurs performances linguistiques, et je pense que la célèbre "bataille d'épithètes" du premier récit mérite de rester dans les annales. Certes, ils ont beaucoup lu, mais enfin Musil revient nettement plus souvent que d'autres. Le sketch avec des gosses qui jouent qui préfigurent de grands écrivains n'est pas sans drôlerie, mais il manque particulièrement de naturel.

Les relations d'Alpodraco avec les femmes sont empreintes d'un détachement technique assez cynique, comme le font ordinairement les machos qui se la pètent. Le deuxième récit présente un savant jeu de petites piques verbales , lors d'un vernissage, entre Greul, et un snobinard superbrushé qui évoque Beigbeder.

Dans le décor, des patrons de bistrots qui déplorent la faible consommation des quatre mousquetaires, et un bouledogue tordu, qui joue les Milou de ces graves Tintins. Troisième récit : le critique incapable d'entendre jusqu'au bout la réponse de ces interlocuteurs ne semble que trop réaliste ! Le deuil que portent les amis de leur bistrot est un bon moment aussi, comme l'état d'hébétude dans laquelle Malard est plongé après une réunion de marketing.

Mention spéciale au récit où les quatre amis se livrent à des provocations à la Jarry, en pleine rue, auprès d'un couple de passants. Inscht, qui ne craint pas de dévaloriser son talent en cherchant des idées auprès de son patron de bistrot, et qui rêve d'aller à Hollywood séjourner auprès d'un scénariste prolifique. Ah ! le mirage des Etats-Unis ! Le jeunot qui ignore les codes et les gaffes à ne pas commettre avant de s'aventurer chez les Quatre.

Le tout sous une couverture à bande rouge, et avec une quatrième de couverture portant trois appréciations "littéraires" bien tournées dans le sens dithyrambique cher aux critiques.

L'atmosphère est feutrée, un peu mélancolique, mais la satire porte à sourire.
khorsabad
7
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le 18 janv. 2012

Critique lue 137 fois

3 j'aime

khorsabad

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