Le relancement en 2015, suite à près de 10 années d'interruption, de sa série à succès, "le Chat du Rabbin", par l'inépuisable Joann Sfar reste l'objet de nombreux doutes : après cinq tomes impeccables, était-il nécessaire de poursuivre cette réflexion drolatique sur la religion - juive en particulier ? Y avait-il de nouvelles choses à dire ? Ou bien est-on désormais dans un train-train un peu facile, défaut que Sfar sait pourtant éviter en général puisque cet impeccable stakhanoviste est le spécialiste de l'interruption prématurée de ses séries les plus prometteuses !


C'est sans doute que "le Chat du Rabbin", "autobiographie familiale" nostalgique d'un autre monde - Alger la Blanche et la cosmopolite au milieu du XXe siècle, qui n'a peut-être jamais existé avec cette splendeur - lui tient beaucoup plus à coeur que le reste de son travail. Le fait que ce soit le superbe chat de la famille Sfar (un oriental gris aux yeux verts appelé Imhotep, qui vient de disparaître à 18 ans...) qui y tienne le rôle principal, avec son incessant bavardage et son intérêt permanent pour les activités humaines - deux caractéristiques bien réelles de la race orientale, les passionnés de félins le savent - en est d'ailleurs une preuve...


Mais si le septième tome de ses aventures s'était un peu égaré dans une lourdeur didactique, ma foi bien explicable par le besoin ressenti par Sfar de prêcher la réconciliation des religions dans un monde de plus en plus fracturé, "Petit Panier aux Amandes" retrouve une légèreté ludique bien venue qui nous réconcilie avec la série... même si les ficelles sont cette fois bien apparentes et les thèmes plus convenus.


Imaginez donc que le petit théâtre amoureux d'Eric Rohmer (celui des "Comédies et Proverbes" plutôt que des "Contes Moraux") rencontre le pastiche de la fameuse "mère juive" tel que Woody Allen l'a régulièrement pratiqué, et vous avez le dernier "Chat du Rabbin". Comme chez ces deux auteurs que nous chérissons, on y parle beaucoup, en mélangeant amour et religion, érudition et naïveté, et on se laisse prendre à tous les pièges de la vie, et en premier ceux que l'on s'est dressés à soi-même : et bien sûr, ce sont les hommes qui sont faibles, ridicules, et reçoivent à la fin une punition bien méritée pour leurs pitoyables stratagèmes. Les femmes sont sublimes, intelligentes et colériques, comme il se doit, et nous ne regrettons pas de passer la majeure partie de notre temps avec elles, qui donnent plus de sens au monde que les préceptes divins et les superstitions absurdes qui les entourent. Le chat est une fois de plus bien dépité par la nature humaine, mais, curieux comme tous ses congénères, il ne saurait se passer du plaisir de l'observer... La morale est cruelle mais elle sauve, même si, demain, tous les espoirs restent permis...


Une fois encore, nous avons passé un excellent moment à badiner et à philosopher avec Sfar et ses personnages aussi gentiment ridicules que profondément touchants. Et si la recette de ce "Petit panier aux amandes" était un peu moins surprenante qu'autrefois, son goût ensoleillé aura une fois de plus fait chanter tous nos sens.


Merci, Joann !


[Critique écrite en 2018]
Retrouvez cette critique et bien d'autres sur Benzine Mag : https://www.benzinemag.net/2019/01/04/chat-rabbin-tome-8-petit-panier-aux-amandes-merci-joann-sfar/

EricDebarnot
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le 29 déc. 2018

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Eric BBYoda

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