Série à la publication aussi compliquée outre-atlantique que chez nous, Planetary revient cette fois au sein du catalogue Urban Comics. L'éditeur étoffe ainsi son offre en matière de classiques à la lisière du mainstream et de "l'indé". Il enrichit en outre l'édition des œuvres de Warren Ellis, auteur présent désormais dans plusieurs de ses labels. Une occasion de découvrir ou redécouvrir une création particulièrement réussie.


C’est donc sous la forme de deux gros volumes de plus de 400 pages chacun que l’intégrale de Planetary paraît aujourd’hui. Publié successivement chez Soleil, puis chez Semic (Laurent Queyssi vous en parlait sur ActuaBD, en 2004), puis encore chez Panini, et c’est finalement à Urban Comics qu’il échoit d’offrir au public cette œuvre prisée, fruit d’une collaboration remarquable entre le scénariste Warren Ellis (The Authority, Transmetropolitan ou plus récemment Trees) et l’élégant dessinateur John Cassaday (Je suis Légion, les Astonishing X-Men avec Josh Whedon, le récent Star Wars, etc.).


Deux artistes de renom, associés à la fin des années 1990 pour un projet publié chez Wildstorm, et qui mit une décennie à aboutir : la publication, ponctuée par diverses pauses, s’étire au final de 1998 à 2009 avec, au total, une série de 27 numéros (au lieu des 24 initialement prévus) complétés par trois crossovers mêlant les personnages de Planetary à d’autres univers super-héroïques comme ceux de The Authority ou de Batman.


À l’aube du troisième millénaire, le monde de Planetary ressemble en grande partie au nôtre, la présence d’humains aux capacités exceptionnelles en prime. Une équipe de trois individus enquête sur divers mystères et phénomènes paranormaux, mettant au jour, dans une forme d’archéologie d’un genre nouveau, les secrets d’un XXe siècle plus complexe encore que ce qu’il semblait jusque-là.


Face cachée de l’Histoire, mythes humains, mystiques diverses et surtout culture pulp, notamment issue des comics, se trouvent largement brassés dans un projet équilibrant admirablement action et réflexion. Les différentes histoires réservent chacune leur lot d’intrigues et de révélations, suivant une dynamique éprouvée. Mais elles sont aussi l’occasion d’une démarche réflexive réinvestissant l’histoire et de nombreuses grandes figures des comics.


Et cela commence fort, avec une première aventure qui introduit un avatar de Doc Savage allié à d’autres figures du roman populaire, convoquant Tarzan ou Fu Manchu. Des individus confrontés par l’intermédiaire d’un incroyable ordinateur quantique ouvrant sur des mondes parallèles, à une équipe de super-héros issue d’un autre univers et rappelant furieusement la Ligue de Justice...


À partir de là, Elijah Snow, Jakita Wagner et Le Batteur explorent d’épisode en épisode un siècle d’imaginaire populaire enfoui aux quatre coins du monde dans des lieux symboliques ou fabuleux. C’est la production populaire du XXe siècle qui constitue la matière creusée par nos héros. Et à partir d’elle, c’est le comics du troisième millénaire qui doit être inventé.


On le voit, le projet de Planetary s’avère sacrément ambitieux, dans son fond et dans sa forme. Outre un graphisme particulièrement puissant et soigné, et des jeux référentiels multiples, on a aussi affaire à une narration qui refuse la linéarité et privilégie les situations saisies in medias res, les ellipses, l’implicite, les sous-entendus, les silences, et préférant largement les questions aux réponses.


Et on comprend mieux pourquoi Alan Moore s’est fendu d’une préface élogieuse, et intelligente, à Planetary - que l’on peut lire sur le site d’Urban Comics - tant il y a dans cette intention manifeste de Warren Ellis et John Cassaday quelque chose de parent avec la démarche créatrice du sorcier de Northampton. Ainsi ce propos, lorsqu’il évoque le projet de Planetary :
« Aussi fascinant que puisse être le concept central de la série, elle aurait pu facilement descendre au niveau de simple démonstration nostalgique sans l’amour et le talent dont fait preuve l’équipe créative dans son travail. Ce qui élève ces histoires au-dessus du niveau d’une simple bluette rétrospective, ce sont l’imagination, le talent déployé et la volonté d’accomplir quelque chose de neuf dans les comics mainstream de super-héros. Quelque chose qui puisse transcender l’approche passéiste qu’évoque immédiatement toute allusion à l’archéologie. Les tombeaux du passé ont été démantelés, leurs pierres ont été utilisées pour paver le chemin menant à l’avenir du média. Le carburant de toute l’entreprise est le seul matériau dont se sont toujours nourris les comics : cette étincelle qui électrise l’imagination, libre des entraves culturelles imposées par les arts dits nobles ou le bon goût ». On ne saurait mieux dire.


Enfin, avec Planetary, Urban Comics continue à apporter de la cohérence à son propre catalogue. Outre l’intérêt qu’il y a en soi à proposer une œuvre aussi importante oscillant entre création indépendante et visée mainstream, entre science-fiction et récit super-héroïque, il s’agit de prolonger une démarche éditoriale consacrant l’une des figures majeures du comics aujourd’hui : Warren Ellis.


Mis en valeur dans la collection Signature, côté Vertigo, avec Warren Ellis présente Hellblazer (un épisode de Planetary évoque d’ailleurs assez explicitement l’univers de John Constantine), le scénariste se retrouve du côté de la collection "Vertigo Essentiels" également avec Transmetropolitan tandis que la collection Indies accueille sa nouvelle série, Trees. Planetary, inscrit dans la collection "DC Essentiels", confirme une politique de suivi éditorial, s’appuyant sur les anciens titres de l’auteur, qui devrait faire le bonheur des lecteurs.


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le 29 août 2016

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