Dernière édition (en vo) du fameux cross-over initialement sorti dans la seconde moitié des 70's (Bronze Age).


■ ■


MESDAMES ET MESSIEURS,


BIENVENUE EN CETTE ANNEE DE 1978 SUR LE RING STELLAIRE DE LA PLANETE BODACE POUR LE CHOC DES SURHOMMES !


AUJOURD'HUI, DANS LA CATEGORIE POIDS LOURDS :


COIN BLEU,
1M91, ACCUSANT UN POIDS DE 100 KILOS A LA PESEE
AVEC 57 COMBATS POUR 56 VICTOIRES (*)
SURNOMME LA LEVRE DE LOUISVILLE, ALIAS CASSIUS CLAY, ALIAS LE CHASSEUR DE TETE, ALIAS LE CHAMPION, ALIAS THE GREATEST !
CELUI QUI VOLE COMME LE PAPILLON ET PIQUE COMME L'ABEILLE ...
MOHAMED... ALI !


EN FACE DE LUI, SE DRESSANT DANS LE COIN ROUGE,
1M92, ACCUSANT UN POIDS DE 112 KILOS A LA PESEE
AYANT COMBATTU AVEC SUCCES LA PLUPART DES FLEAUX QUI MENACAIENT LA TERRE.
SURNOMME L'HOMME D'ACIER, L'HOMME DE DEMAIN, OU ENCORE LE FANTASME EN SLIP ROUGE DES MENAGERES !
CELUI QUI EST PLUS RAPIDE QU'UNE BALLE DE REVOLVER, PLUS PUISSANT QU'UNE LOCOMOTIVE, PLUS RESISTANT QU'UN PROFESSEUR DES ECOLES ... VOICI LE FILS DE KRYPTON ...
SUPER...MAN !


■ ■



Le pitch :




Alors que Clark Kent et Loïs Lane interviewent tranquillement
Mohamed Ali dans un quartier défavorisé,
un agresseur alien débarque gorgé des (décidément trop) habituelles viles intentions...
Après avoir été rapidement maîtrisé, celui-ci annonce faire partie d'un peuple guerrier qui ne laissera cette
planète tranquille seulement si le plus grand combattant terrien
réussit à vaincre leur terrible champion.
Des déboires avec la flotte alien contraindront par la suite
l'homme d'acier à jouer le jeu.



Superman et Mohamed Ali finissent donc sur le ring qui les
départagera, sur une lointaine planète gravitant autour d'un soleil
rouge (annulant au passage les pouvoirs du kyptonien).



C'est ainsi, devant une foule galactique en effervescence, que le
match du siècle peut commencer
!




Deux ans après le passage en salle du bouleversant Rocky (ce boxeur de seconde zone devant affronter un champion dont le personnage fut basé sur Ali), déferla en kiosque cette bande dessinée encore plus improbable, où deux icônes populaires - l'une fictive, l'autre bien réelle - se voyaient contraintes de s'affronter pour défendre le sort de l'humanité.


Bien entendu, il s'agissait là d'un produit commercial censé jouir de la puissante notoriété d'alors de Mohamed Ali, et pourtant le résultat ira bien au-delà du simple produit de commande...


Les succès de la Blaxploitation (ces films où les afro-américains étaient hautement mis en valeur dans des sujets qui leur tenaient à coeur) et de la Shaw Brothers (films hongkongais remplis de kung-fu) ont fortement poussé l'industrie du comic à développer des super-héros communautaires tels-que la Panthère Noire, Shang-Chi, Luke Cage ou encore le Faucon. Pourtant, aucun d'entre eux n'arriva réellement à la botte de l'indéboulonnable Superman... C'est donc en dehors des cases et des bulles que le peuple se trouva un autre et véritable modèle, peut-être plus proche d'eux ; un symbole de détermination et de réussite dans une société toujours injuste. Et celui qui gagnait aussi bien les coeurs que les matchs de boxe avec verve et poigne, c'était bien sûr Cassius Clay !
Son refus de participer à la Guerre du Vietnam, ses origines, ses engagements politiques, ses phrases percutantes et bien évidemment ses exploits sur le ring en ont rapidement fait le nouveau champion du peuple. C'est pourquoi, quand cet homme hors-normes et adoré fut qualifié de Black Superman, une idée simple mais folle germa : pourquoi ne pas organiser un match de papier entre le Black Superman et le (white) Superman, mais unis pour le bien commun ? Une idée lucrative, mais aussi une tentative osée de limer définitivement les résidus du ségrégationnisme dans l'esprit populaire. Cette volonté d'égalité et de réunification surfait alors judicieusement sur l'essor idéaliste prôné sous la présidence du démocrate et contreversé Jimmy Carter.
De nouveau, le comic book cherchait à prouver qu'il était le médium adéquat pour faire évoluer les mentalités de son époque ; et tout au long de la lecture, la BD sera effectivement parsemée d'éléments prêchant la fraternité et le multiculturalisme.
On retiendra pour exemples cette sublime première double page très "United colors of benetton" ; les scènes avec ce public galactico-hétéroclite à l'unisson ; tout comme cette célèbre poignée de main entre les deux héros. Car oui, Mohamed Ali n'est pas seulement présenté comme un grand champion mais aussi comme un véritable combattant, un altruiste, un philosophe et surtout l'égal de Superman. Le champion du ring devient alors le champion du bien. Certains pourraient tout aussi bien y voir une parabole à la superpuissance des Etats-Unis, auto-désignés grands défenseurs de l'humanité.


Une telle entreprise ne pouvait donc être confiée qu'à une escouade de cadors. Si le script de départ appartient à Dennis O'Neil, c'est finalement Neal Adams (Deadman, Green Lantern/Green Arrow et ses épisodes époustouflants sur Batman) qui mènera à terme l'entreprise après deux années de labeur. En effet, qui alors de mieux que cet artiste, un des dessinateurs les plus influents des 70's avec son trait réaliste chaud-bouillant et fourmillant de détails, pour réussir l'inconcevable ?
Avec ce style qui place le lecteur au coeur de l'action où la profondeur de champ ébahie de justesse, et ce travail emphatique du langage corporel développé comme catalyseur des émotions, Adams était définitivement l'homme de la situation. Et pour le fignolage, il put naturellement compter sur le talent reconnu des maîtres Dick Giordano et Terry Austin.
Au final, les dessins sont d'une grande lisibilité avec des silhouettes qui semblent vivantes, toujours gracieuses et diablement expressives. Les scènes d'actions spatiales sur la vague Star Wars cartonnent, les moments chaleureux vous enveloppent comme une couverture de mohair et les matchs de boxe vibrent sous vos grands yeux excités. C'est du grand art !
De plus, le rythme effréné de ce récit-prétexte délicieusement kitsch ne laissera filtrer aucun moment de répit et vous réservera même quelques petites surprises...
En ce qui concerne la caractérisation, celle-ci est pleinement réussie et on retrouve avec bonheur toute la noblesse de Superman, ainsi que la gouaille ravageuse d'Ali (à tel point que - selon la rumeur - le champion aurait participé à certains de ses dialogues). Le trait d'Adams-le-magicien appuyant avec une inégalable acuité chaque expression faciale.
Tout cela c'est du concentré de fun à chaque page et on se surprend à revenir en arrière pour redévorer ces cases inépuisables de générérosité !


Par ailleurs, il serait bien criminel de passer sous silence cette merveilleuse couverture reproduite dans les bonus ! Cette dernière vous amusera au jeu de Mais-qui-est-présent-dans-le-public?, même si une bonne connaissance des célébrités (là aussi réelles/fictives...) des années 70 est requise (la liste des noms étant tout de même donnée). Bref, le genre de travail qui traumatisa sûrement ce merveilleux fou du remplissage qu'est George Perez ...


Pour cette belle édition "Deluxe", le format originel a été réduit (28,5x19cm) et la colorisation actualisée sur papier glossy, sans pour autant dénaturer l'oeuvre orginale. C'est bien simple, même orné de cette nouvelle jaquette au cachet rétro, on a l'impression de voir un comic récent tout droit sorti du four. Ajoutons à cela quelques dessins préparatoires et lignes de script en bonus, et on tient là une édition de qualité.
Et pour ceux qui rient des bonii et préfèrent bénéficier d'un maximum de détails sur les dessins : raflez l'édition en facsimile avec ses planches grand format !


Donc, par son côté événementiel, la rencontre marqua fortement les esprits et entérina de fait la consécration icônique du plus grand boxeur de tous le temps. Même si, paradoxalement, c'est à peu près au moment de la première parution qu'Ali commença son déclin physique et sportif.


En définitive, Superman vs. Muhammad Ali est au comic book pop ce qu'un monolithe central est au site de Stonehenge: un élément fondateur et indispensable. Et plus de trois décennies plus tard, on en ressent encore les ondes.
 
S'il est malin, voilà ce que Papa Noël glissera au pied de votre sapin.


 
 
(*) Palmarès au début de l'année 1978 ; sinon 61 combats pour 56 victoires en fin de carrière.

MilOvni
8
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le 18 juin 2011

Critique lue 1.9K fois

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MilOvni

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