Sur l'Étoile - Le Monde d'Edena, tome 1 par Sejy

Il m'a fallu beaucoup de temps avant d'ouvrir un album de Moëbius. Intimidé, j'avais l'illusion d'un artiste inaccessible, réservé à une « élite » de la bande dessinée, une intelligentsia avec ses interprétations nébuleuses et codifiées ; qu'il était nécessaire d'afficher derrière soi une très longue expérience de lectures, une légitimité entendue pour prétendre aborder le maître sans donner l'impression de se goinfrer d'une confiture interdite aux cochons. Connerie ! Moebius c'est l'essence de la BD, la pureté et la malléabilité d'un langage propre qui s'adresse à tous. Qu'il soit novice ou blanchi sous le harnais, qu'il se considère éclairé ou pas, tout bédéiste se doit d'y goûter au moins une fois, sans appréhension.

Mon dépucelage fut Le monde d'Edena. Depuis j'y reviens souvent, comme un pèlerinage, le retour aux sources d'un fabuleux voyage spirituel. Sa science-fiction hallucinée, mélange de fantasmagorie et de métaphysique, est empreinte d'une très grande poésie. Une liberté onirique qui s'exprime dans cette quête originelle et instinctive d'Atan et Stell. Au-delà d'un scénario tangible qui débute comme un pamphlet plein de détachement et d'ironie sur l'écologie, le pouvoir ou la religion, la logique s'évapore sur plusieurs niveaux d'irréalités. Moebius s'y dévoile à travers des visions, des idées ou des états d'âme, mais sans réelle volonté de démontrer ou d'expliquer. Titillant les quelques coins ignorés de notre cerveau, il nous perd, sans nous égarer vraiment, dans une errance contemplative, philosophique et un peu psychédélique. Renvoyant chacun à son imaginaire, il lui laisse le soin de trouver son propre chemin. Et plus que la réponse elle-même, c'est sa recherche qui libère tout le vertige. Un peu comme si vous tentiez de définir une forme ou un objet dans l'obscurité, à l'aide de votre seul sens tactile. Qu'importe alors la nature du bidule. Vos mains touchent, explorent, s'attardent et s'interrogent pour sculpter une image mentale, mais ce qui prime réellement, c'est la décharge de sensations. Des émotions brutes, décuplées, qui dépendront également du contexte, de l'état affectif et de la réceptivité de l'instant. Au bout du compte, on se fout que quelqu'un nous apporte la lumière.

Le catalyseur de toutes ces exaltations, c'est le génie graphique de l'auteur. Sa conception de l'image est inégalée et la fascination engendrée par son oeuvre passe avant tout par le prisme des mirettes. Son pinceau nous transforme en nomades ébahis, en témoins privilégiés de la cosmogénie d'Edena. Des jardins et des déserts délivrant un extraordinaire sentiment de plénitude, des espaces lisses ou vides qui vous happent, vous coupent le souffle, des architectures dépouillées, vertigineuses et inquiétantes, des hallucinations exaltantes ou des décors aveuglants de clarté. Les quelques enfants nés de la ligne cristalline et de l'harmonie de couleurs flashy aux contrastes ou aux dégradés si rayonnants. Un univers visuel époustouflant à l'inspiration probablement divine.

Après ça, restera-t-il encore des insensibles à l'art du Maestro ?
Sejy
10
Écrit par

Créée

le 19 août 2011

Critique lue 513 fois

7 j'aime

Sejy

Écrit par

Critique lue 513 fois

7

D'autres avis sur Sur l'Étoile - Le Monde d'Edena, tome 1

Sur l'Étoile - Le Monde d'Edena, tome 1
DrAlex
10

Critique de Sur l'Étoile - Le Monde d'Edena, tome 1 par DrAlex

L'année passée, j'ai écrit un bon petit pavé d'une cinquantaine de pages sur cette série, pour un devoir. Je vais pas recommencer. Mais c'est certainement une des BDs qui m'a le plus marqué. Je...

le 19 août 2010

5 j'aime

1

Sur l'Étoile - Le Monde d'Edena, tome 1
khorsabad
10

Le lecteur dans l'Eden

Moebius – Jean Giraud – Gir a été un vrai génie de la bande dessinée, ne serait-ce que par la variété de ses styles graphiques : autant « Blueberry » (signé « Gir ») m’incommodait par la surcharge de...

le 8 févr. 2015

2 j'aime

Du même critique

Un printemps à Tchernobyl
Sejy
9

Effroyable beauté...

Regard oblique. Vision biaisée d’un no man’s land au temps suspendu. Sensation indésirable de plénitude. L’auteur peste, témoin impuissant à retranscrire l’horreur du désastre. Pourtant dans ses...

Par

le 18 oct. 2012

14 j'aime

Mémoire morte
Sejy
9

Critique de Mémoire morte par Sejy

Mémoire morte est, à mes yeux, l'œuvre la plus accessible de l'auteur. Les métaphores sont limpides et le scénario, malgré de savoureux et traditionnels accents d'absurdité, est d'une logique...

Par

le 19 août 2011

12 j'aime

Hallorave - Le Roi des mouches, tome 1
Sejy
10

Critique de Hallorave - Le Roi des mouches, tome 1 par Sejy

Je flotte, ahuri. Prisonnier de la bulle nihiliste et lumineuse que Mezzo et Pirus ont créée pour moi. Je vagabonde entre les états d'âme. Béat, repus du plaisir, que dis-je, de la jouissance...

Par

le 19 août 2011

11 j'aime

4