Un bijou [critique des 7 premiers tomes]

Critique qui sera organisée en cinq points, parce que cinq c'est bien.


1. Un appariement réussi
Comme dans bon nombre de relations (élèves et écoles, internes et hôpitaux, donneurs et receveurs d’organe…), la formation d’un duo en matière de manga repose sur un appariement de deux types d’agents : il faut une personne en charge du scénario, une autre pour dessiner. Et pour que cela marche il est nécessaire que le dessin du second corresponde bien au scénario du premier, que les deux artistes s’entendent bien, que les interactions soient fructueuses, que chacun bonifie le travail de l’autre, etc. Les conditions à réunir ne sont donc pas minces. Elles le sont pour The Arms Peddler.


Kyôichi Nanatsuki (également derrière le scénario de Area D) avait en tête, depuis quelques dizaines d’années, les éléments qui allaient donner naissance à ce manga. De la lande désertique au personnage de Garami, en passant par le curieux « corbillard » qui lui permet de se déplacer, le scénariste avait une big picture dans un coin de l’esprit. N’ayant pas réussi à donner vie à ce personnage Nanatsuki avait fini par l’oublier. C’est en 2008 que la rédaction du Young Gangan lui présente Night Owl. Ce fut comme une révélation : devant les dessins de Night Owl, le personnage de Garami et son univers revenaient à l’esprit de Nanatsuki. Il avait trouvé celui qui pourrait dessiner tout ceci. On peut donc dire un grand merci au Young Gangan pour avoir permis cette rencontre entre les deux, tant la paire qu’ils forment est réussie, le dessin de Night Owl complétant à merveille le scénario de Nanatsuki.


A la fois incroyablement détaillé, dynamique, réaliste, le dessin Night Owl nous met quelques jolies claques visuelles en plus de nous proposer des « gueules » qui ne passent pas inaperçus. Parfaitement à l’aise pour dessiner humains comme non-humains, personnages comme décors, c’est un quasi sans faute (il n’y a guère qu’un visage de Garami dans le tome 3 qui m’a semblé un peu petit par rapport au reste du corps). Un régal dont on aurait tort de se priver.


2. Vivre c’est choisir
The Arms Peddler offre l’avantage de nous plonger rapidement au cœur de l’action : un jeune garçon, Sona, seul survivant d’un massacre où il a perdu sa famille croise la route d’une femme, marchande d’armes. Elle lui offre un choix : vivre ou mourir. S’il meurt il n’aura plus de soucis à se faire. S’il vit alors c’est une autre histoire : sa vie appartiendra à la marchande d’armes qui l’a sauvé, le temps qu’il puisse obtenir 100 pièces d’or. Une somme colossale mais la fixation du prix est à l’entière discrétion de celui qui sauve l’autre dans cette zone…


Si Sona avait opté pour la première option son histoire serait terminée. Elle se poursuit encore donc il a choisi l’option deux. Etait-ce le bon choix ? Pour nous lecteurs oui. Le duo se met en route et avec lui on ne va pas s’ennuyer :



  • Le duo deviendra trio après la récupération de la princesse Airi (et on souhaiterait au début qu’elle se fasse éjecter du chariot…)

  • Garami va perdre son statut de marchande d’armes pour devenir le garde du corps de Sona avant de retrouver son statut

  • Ils vont nous faire voir du pays et le repos sera toujours de courte durée (du moins pour ceux qui restent en vie)

  • Sona va faire la rencontre d’un jeune Balzari et cette rencontre ne devrait pas être sans importance pour la suite


3. L’univers est infini
L’univers du manga, ainsi que les intrigues qui s’y déroulent, sont riches de références, certaines étant révélées par Nanatsuki dans les postfaces assez géniales qui figurent à la fin de chaque tome : Kurimito, Lovecraft, Moorcock, Vampire Hunter D, Stephen King… mais aussi les rêves de Nanatsuki tout comme ses souvenirs d’enfance. Comme bon nombre d’auteurs, le scénariste est une éponge qui se nourrit de ce qu’il peut lire, voir, vivre… et il réinsère tout cela dans son intrigue, une intrigue qui avance au fur et à mesure, sans que des bornes apparaissent dans l’imagination de Nanatsuki.


Si on comprend que la série se déroule dans un futur indéterminé et que notre civilisation s’est effondrée, on retrouve ici et là des traces de ce passé qui nous est présent : métro, anciens immeubles et, surtout, la présence des armes à feu qui ont été remises au goût du jour par la guilde des armuriers afin de les vendre aux hommes, pour que ces derniers aient les moyens de se défendre contre les différents prédateurs qui les assaillaient et continuent de s’en prendre à eux.


Les armes à feu ou blanches sont donc une nécessité, d’autant plus que certaines formes de magie sont présentes, qui permettent de ramener les morts à la vie (zombie), de créer une zone coupée du monde (coucou les vampires) et bien d’autres choses encore dont certaines intéressent plus particulièrement Garami…


Zombies, vampires, fantômes, corbeaux spectraux, autres créatures diverses et variées : ce monde nous offre un mélange des genres qui n’est pas aussi barré que celui présent dans Area 51 mais qui se révèle incroyablement digeste, addictif. L’univers de la série n’est pas clos mais semble s’ouvrir un peu plus à chaque tome, en nous offrant quelques réponses, de nouvelles intrigues, des morts, de nouveaux mystères à résoudre…


4. Le mystère Garami
Le mystère le plus important, à ce stade, concerne Garami. Elle apparaît insondable : des rumeurs courent sur elle, sur sa longévité, sur ce qu’elle recherche… Il semblerait qu’elle prenne de gros risques pour sa vie mais cela semble peu lui importer et s’il est une règle à respecter c’est de ne pas toucher l’épée qui lui barre le dos.


A la fois glaciale, sans pitié par moments, plutôt agréable et quelque peu chaleureuse dans d’autres, la marchande d’armes ne laisse pas indifférent et trace sa route en nous emmenant avec elle dans cet univers pour voir de quoi il retourne. Et quand elle se met à bastonner elle nous montre un talent exceptionnel en plus de sortir quelques punchlines qui font mouche à chaque fois. Garami, une femme qui fera voler en éclats bon nombre de clichés féminins que l’on peut voir ou lire par ailleurs.


5. De la sueur, du sang et des larmes… et c'est tout ?
A quoi aboutira la quête de Sona ? Tiendra-t-il les engagements qu’il a pris au fil des tomes ? L’épée que lui a donné Garami continuera-t-elle à faire des merveilles ? Que deviendront Garami et la princesse ? Pour l’heure on ne le sait pas. Si certains mots de Sona âgé apparaissent lors de quelques débuts de chapitres – donnant une tonalité peu joyeuse pour la suite – l’incertitude plane.


L’espèce de famille que le trio Airi-Garami-Sona compose apparaît comme une espèce d’îlot miraculeux (pour l’instant) dans un univers où les familles croisées par nos personnages ont volé en éclats. La survie du plus fort est la norme ; malheur aux vaincus qui finiront morts ou esclaves. Plane alors sur la série une espèce de tristesse, de mélancolie. Les puissants sont peut-être heureux mais le monde que l’on voit apparaît quelque peu déprimant : la parenthèse (relativement) tranquille auprès de la guilde des armuriers est contrebalancée par un massacre de plusieurs de ses membres et l’arrivée de chasseurs de prime précipitera le départ de Garami, Sona et de Airi. Le mouvement semble la règle. S’arrêter c’est mourir. Continueront-ils longtemps leur route ? Arriveront-ils à destination ? Si oui, laquelle ?


On l’aura compris la série n’est pas là pour nous dresser le portrait d’un monde heureux mais elle n’est pas là non plus pour nous briser le moral. A travers les efforts de Sona et d’autres, l’espoir demeure. Cela n’empêche pas certaines morts, parfois marquantes, mais la route tracée par Nanatsuki et Owl semble jonchée de cadavres. Il faut s’y faire : avec un manga où le mot stigmate remplace celui de chapitre, on ne peut pas dire que l’on soit surpris. Le compte des morts peut reprendre…


Pour conclure en quelques mots : plus de deux ans et demi d’attente entre le tome 6 et le tome 7. Ce fut long mais la patience a été récompensée et, la force de la série, c’est qu’il suffit de lire quelques pages pour renouer avec l’univers, comme si on ne l’avait jamais abandonné. Un nouveau chapitre bonus est présent, qui permet d’en apprendre un peu plus sur l’épée de Sona, avec des références à Lovecraft et Asamatsu. Cette reprise de contact avec The Arms Peddler était donc des plus agréables… et ne fait que renforcer l’envie de voir la suite de ce manga magique et magnifique. Vous nous manquez déjà, Garami, Sona…

Anvil
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à sa liste Les meilleurs mangas de 2015

Créée

le 15 oct. 2015

Critique lue 535 fois

4 j'aime

4 commentaires

Anvil

Écrit par

Critique lue 535 fois

4
4

Du même critique

March Comes in Like a Lion
Anvil
9

Une première saison magistrale

Les 22 premiers épisodes de March comes in like a lion m'ont bluffé. Le réalisateur Shinbo Akiyuki et le studio Shaft livrent une prestation de haut vol. La dernière fois qu'un animé traitant de...

le 22 mars 2017

24 j'aime

11

L'Habitant de l'infini
Anvil
9

Un manga que l'on aime... à l'infini !

La sortie cette semaine d’une édition pour le vingtième anniversaire de la parution française de l’Habitant de l’Infini de Hiroaki Samura constitue un formidable prétexte pour parler de ce manga...

le 2 nov. 2016

16 j'aime

To Your Eternity, tome 1
Anvil
8

Va, vis et deviens

En novembre dernier, Yoshitoki Oima débutait une nouvelle série au Japon. Quelques cinq mois plus tard, le premier volume arrive en France ! Que nous réserve-t-il ? Changement.s dans la...

le 19 avr. 2017

15 j'aime

4