Comme à mon habitude quelques éléments de réflexions sur une BD d'enfance.
Titre : X 15


Auteur : Jean Michel Charlier (scr) Victor Hubinon (des)


1ère publication : « Spirou » environ 1963
Publication album : Dupuis


Album utilisé : Tout Buck Danny tome 8 « Pilotes de prototypes » édition 1986 regroupant :
– Prototype FX-13.
– Escadrille ZZ.
– X-15.
– L'inédit en album Une incroyable histoire (2 pages) publié en 1969.
Ce regroupement ne correspond pas au déroulement chronologique des épisodes de la saga, Prototype FX-13 et Escadrille ZZ forment un diptyque qui se situe à la suite de Top secret et Mission vers la vallée perdue, X 15 se situe plus tard après le triptyque du retour des tigres volants et le diptyque Opération Mercury / Les voleurs de satellites.


Sources : P. Facon Les Avions pp. 151-160


Éléments de critique externe :


Note : La numérotation des pages utilisée correspond à celle indiqué par le dessinateur sur ses planches.


L'histoire :
A peine en congé les 3 héros sont rappelés pour devenir les nouveaux pilotes de l'avion fusée stratosphérique X 15.


Éléments d'analyse :
La structure dramatique de l'épisode est conforme à celle de l'ensemble de la saga. L'accent semble être particulièrement mis sur la dimension documentaire, véritable héros de l'aventure l'avion X 15 à droit à 2 fiches techniques (P 3 3/1 & P 4 2/1 dans une case unique occupant les 3/4d'une page). Les différentes étapes de l'entrainement des pilotes sont minutieusement décrites. sans être négligeable l'intrigue policière tournant autours de sabotage de l'avion apparait relativement secondaire et reprend le principe d'un groupe de saboteur dirigé par un gros poussah. Ce schéma dramatique à déjà été utilisé par J.M. Charlier dans Prototype FX 13. Charlier reprend également le ressort dramatique du nounours piégé.
Attitude fréquente chez JM Charlier qui s'en explique :
« J'ai une très mauvaise mémoire... La preuve à l'intérieur de certaines de mes histoires, il m'arrive d'oublier complètement ce qui s'est passé dans les précédents épisodes. Cela me joue quelquefois des tours, car je crois être visité par un éclair de génie en ayant trouvé un bon rebondissement ou une excellente histoire à écrire, et je m'aperçois quelques temps après, que je les ai déjà utilisés. »


Le scénario évoque l'accident réel d'atterrissage du X 15 le 9 novembre 1962 qu'il attribue au pilote d'essai Bob Light.
P 16 3/2 :
Buck : « Hello, Bob ! Diable ! Accident de ski ?...
Bob Light : Ha ! Ha ! Ha ! Vous ne croyez pas si bien dire … Ce sont ceux du X-15 qui se sont repliés lors du dernier vol !... »


Évocation d'événements réels associé à une volonté documentaire fait partie du mode opératoire de JM Charlier.
« Pour écrire un scénario, je pars toujours d'un fait réel. Cela m'oblige à constituer une considérable documentation que je dépouille. C'est aussi bien des articles de journaux que des bouquins, ou que des photos. En fait, tout est là ! L'essentiel est de trouver le point de départ à partir duquel je vais pouvoir concevoir un certain nombre de rebondissement et de péripéties. »


La lune comme objectif ? :
L'épisode s'insère dans une série évoquant la préparation à la conquête de l'espace, d' « Opération Mercury » à « Alerte à Cap Kennedy », JM Charlier ne poursuivra pas plus loin et ne transformera pas son trio d'aviateur en astronautes (sauf pour un court épisode parodique de 4 pages « Mission spéciale » paru le 19 juin 1969 dans Spirou). L'album est l'occasion d'expliquer les difficultés des vols en très haute altitude.
– Problème de la gravité.


P 29 2/2 :
« Sur son siège moulé à ses formes, Light écrasé par la terrible accélération, incapable d'un geste, pilote du bout des doigts. »


– Échauffement au hautes vitesses et hautes altitudes.
P 33 3/1 :
Technicien : « L'échauffement au niveau du pare-brise a atteint 1 000 degrés, au lieu des 793 prévus au maximum par suite du frottement de l'air... Les deux fois, malgré son épaisseur et son blindage, le pare brise s'est fendu, mais il a miraculeusement tenu bon... »


La dimension documentaire de l'épisode semble encore avoir été renforcé par la visite que JM Charlier a effectué sur la base de l'USAF d'Edwards où il interview Niel Armstrong alors pilote du X-15 .


Recul de la guerre froide ?
Si la conquête de l'espace ne tourne pas complètement le dos à la mise scène de la guerre froide celle-ci s'exprime sur un mode mineur le chef des comploteurs ressemblent à l'avionneur véreux Mac Dougall de « Prototype FX 13 », aucuns indices graphiques ou narratifs ne les rattachent au blocs de l'est, (contrairement à d'autres épisodes cf : « Mission vers la vallée perdue ») et leurs motivations restent assez vague.
P 19 4/1, 2, 3 :
Chef des comploteurs : « Grâce à ce damné zinc, les yankees sont en train de prendre une avance dangereuse dans le domaine du vol spatial piloté et par conséquent, dans la conquête du cosmos !... // Par-dessus le marché, le nouveau programme du X-15 prévoit des missions avec caméras... Et ceci est extrêmement gênant pour nos propres projets spatiaux !... // Bref, gentleman nos ordres sont formels nous devons retarder et si possible, stopper les américains !... A n'importe quel prix !... Voici mon plan !... »


Le « Bref » (P 19 4/3) semble là s'adresser autant aux protagonistes qu'aux lecteurs et trahit le désintérêt du scénariste pour l'intrigue policière.


L'avion X-15 est présenté comme un projet à destination uniquement scientifique destiné à préparer les vols spatiaux. La conquête spatiale n'est pas comme faisant partie de la compétition Est / Ouest.
Ce changement d'optique peut s'interpréter comme un recul du manichéisme ce qui apparaît cohérent avec l'évolution de la vision des rapports humains qui apparaissent à la fois moins binaire et relevant d'une vision plus adulte du monde.

Évolution de l'image de la femme :
Contrairement à d'autres épisodes de la saga les personnages féminins occupent une place importante et se démarque du caractère blanc et masculin de la série.
Des silhouettes féminines apparaissent dans les quatre premières pages ont remarque ont remarque aussi la présence d'un garçon de bureau noir dans les couloirs du pentagone (P3 1/1).


Cette évolution reste néanmoins très limité, aucunes femmes ou noirs n'apparaissent dans l'équipage qui débarque du porte avion « Forrestal » qui conserve sa fonction d'enceinte préservé (cf: fonction sacré du porte avion fiche transport paquebot et avion & SOS soucoupes volantes!). Au Pentagone femmes et noirs occupent des positions subalternes :
– Le noir est garçon de bureau et suscite une certaine curiosité.
P3 1/1 :
Tumbler : « Buck !... Tu as vu ?... Ils ont même motorisé les garçons de bureau, ici !... »
– La femme en uniforme apporte le café (P3 2/2) et sort de la salle de réunion tandis que les hommes assis poursuivent leur conversation.


Dans la suite du récit 4 figures féminines se distinguent :


– P. 10, 11, 12 : Le médecin lieutenant Webb.
– La journaliste ancienne aviatrice recordwoman de vitesse Pat Roy.
– L'officier de presse major Dudley.
– La femme du pilote Bob Light Sheila.


Ces personnages correspondent au principe d'un modèle féminin bricolée cherchant à concilier fonctions traditionnelles de la femme et aspirations à la modernité.


Graphiquement ces personnages arborent des tenues hybrides à la fois sage et transgressive, féminine et masculine.

– L'uniforme du Major Dudley et du Lieutenant Webb sont à la fois féminin (jupe) et masculin (cravate).
– Sheila Light a des cheveux courts associé à un strict tailleur.


Une nouvelle image de la femme se dessine celle-ci n'est plus confiné aux seuls besognes du foyer ni condamner à la transgression comme Lady X (cf: « SOS soucoupes volantes! »). Le travail féminin apparaît légitime même à des postes exigeant certaines compétences et impliquant une prise de responsabilité importante. Le travail des femmes apparaît indispensable.

P 36 3/1 :
Sonny : « […] les journaux relatant l'accident de Bob vont sortir de presse !...
Tumbler : Non !... Le major Dudlley l'attaché de presse a fait un travail fantastique !... »
Les cases suivantes la montre parlant d'égal à égal avec un patron de presse homme et elle demeure omniprésente au cœur de l'action durant tout le reste de l'épisode, elle se précipite la première quand des coups de feu éclatent (P 43 3/1, 2), recueille les confidences de Pat Roy à l'agonie (P 43 4/1, 2) et donne l'alerte.
P 43 4/3 :
Major Dudley : « Un attentat ?!... Oh !... Danny !... Vite!... Il faut empêcher le largage !... Alerter le contrôle de vol !... Pourvu qu'il ne soit pas trop tard !... »


Cette importance dramatique se fait au prix du renoncement à une certaine féminité (maintient rigide, lunettes, cheveux strictement ramener en arrière).


Les schémas traditionnellement affecté aux personnages féminins évoluent également :
– L'épouse gagne en densité contrairement à Muriel Lester (cf: SOS soucoupes volantes!) elle n'a pas besoin d'une belle mère pour tenir sa maison en l'absence de son époux et à l'approche du danger et cache son angoisse pour soutenir son époux.


Si elle connait un temps de faiblesse.
P 25 1/ 2 :
Sheila Light : « Pardon colonel !... Je... J'ai essayé de cacher mon angoisse à Bob !... il … il va avoir besoin de tout son courage... Mais maintenant je … Je n'en puis plus !... »


elle se reprend aussitôt :
P 25 3/2 :
Buck : « Alors, Sheila, ça va mieux ?... Courageuse à présent ?...
Sheila : Ou... oui !.. Je vous demande pardon ! Un moment de défaillance !... »


Après la tragédie de la mort de son mari elle tient une conférence de presse où elle prend, d'une certaine manière le relais de son mari.
P38 3/3 :
Sheila : « Je veux qu'on sache que je ne crois pas le X-15 responsable... Que Bob, avec toute sa compétence le jugeait parfait !... ne pas le proclamer serait trahir Bob !... »


A l'opposé la femme transgressive attaché au camp du mal enregistre un certain affaiblissement le scénariste ne recourt plus pour l'incarner au personnage de Lady X qui connait une éclipse d'une dizaine d'année , mais à un ponctuel succédané en la personne de Pat Roy. Celle-ci est transgressive du fait de son passé d'aviatrice (comme lady X, elle est reccordwoman de vitesse), mais reste féminine par la soumission qu'elle affiche au chantage des hommes.


Graphiquement sa blondeur l'oppose aux autres personnages féminin mais sa tenue reste toujours strictement féminine. Sa tardive prise de remord final peut apparaitre comme une illustration de la faiblesse féminine.
Cependant la femme reste confiner à un statut inférieur, elles n’occupent pas de poste de direction, ni au niveau du complot des méchants, ni au niveau du centre d'essai. La femme apparaît légitime et indispensable aux cotés de l'homme mais reste confinée au rôle d'auxiliaire de l'homme.

La courte séquence du lieutenant Webb (P 10-12) génère avec Sonny une sorte de marivaudage non exempt de sous-entendus durant lequel elle affirme clairement sa domination.
P 11 :
Webb : « Prêt, capitaine ?... Veuillez me suivre !...
Sonny : Avec plaisir, honey ! Pour vous j'irai dans la lune !...
Webb : Ce serait prématuré sir !... Contentez-vous de grimper dans cette cabine ça suffira largement !...
Sonny : Hé ! Un instant ! Vous êtes d'accord pour qu'on sorte ensemble ce soir ?...
Webb : Moi, oui... Mais après ce qui va vous arriver tout de suite, c'est vous qui ne le serez plus !...
Sonny : Moi ? Le meilleur encaisseur de ''G'' de la navy ?! Ha ! Ha ! Ha! Vous ne connaissez pas Sonny Tuckson dear !...
Webb : Non ! Mais je connais ma centrifugeuse ! »


Si les sous-entendus sexuel de ce dialogue échappe à la perception consciente des jeunes lecteurs, il n'en suggère pas moins l'idée de relations homme / femme de type adulte et égalitaire. Les rapports précédemment exposé relevant d'une vision enfantine des rapports inter sexes.
On constate que le cryptage effectué vis à vis de la sexualité est nettement moins important que durant la période précédente.
La vision des couples proposé précédemment relève du modèle de perfection parental.


Vision des méchants :
Les méchants restent conformes à la tradition graphique des périodes précédentes le chef du complot présente un gros ventre et des traits adipeux. Les auteurs veillent à éviter toute connotations antisémite mais reprenne les caractéristiques de l'affairiste américain (ses complices l’appellent le boss) établie depuis les années 30. Ses hommes de mains arborent des allures de gangster.

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le 23 mars 2019

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