Adieu Eri
7.8
Adieu Eri

Manga de Tatsuki Fujimoto (2022)

La première fois que j’ai lu Adieu Eri, c’était sur Manga Plus. Et j’avais trouvé cela « sympa sans plus », à l’instar d’autres histoires courtes de Tatsuki Fujimoto parcourues dans les recueils 17-21 et 22-26. Effet de la lecture verticale ? Peut-être. Toujours est-il qu’en lisant ce one-shot dans sa version physique, le ressenti n’a pas été le même.


J’ai d’abord été frappé par le souci de l’image, ces flous qui deviennent nets, pour montrer les contraintes qui pèsent sur la manière de filmer du narrateur, Yûta. Un réalisateur adolescent qui filme au smartphone, parce qu’on est au XXIe siècle et que ça doit coûter moins cher qu’une caméra. Et puis des réalisateurs connus ont eu recours aux smartphones pour réaliser des films (Paranoïa de Steven Soderbergh par exemple). On se croit alors embarqué dans le mythe du jeune réalisateur qui monte son premier court-métrage pour le présenter à son école et ainsi remporter la première épreuve qui conduit au succès… ou presque. Entre le choix du sujet (filmer la mort de sa mère) et le final retenu par Yûta l’accueil critique sera pour le moins mitigé. Voilà pour l’introduction.


Une situation qui lui donne envie de faire le grand saut, façon Daniel Pennac dans Chagrin d’école (désolé pour le spoil). Mais voilà qu’il rencontre sa muse (Eri), qui va lui permette de remiser son idée de suicide au placard. Et d’avancer vers le succès ? Ce ne sera pas aussi simple. Le cheminement combinera accumulation de films (on ne crée pas à partir de rien), écriture d’un scénario (beaucoup de papier perdu pour arriver à la version finale), des milliers d’heures d’instants filmés qu’il faudra couper, monter, remonter… La création réclame du temps, des ressources, de la sueur, des rires et des larmes. Voilà pour le développement.


Je n’en dirai pas plus sur le climax et la résolution pour ne pas gâcher davantage le plaisir de visionnage d’Adieu Eri. Oui, on suit ce one-shot comme un film dramatique. Avec ses moments drôles et tragiques, ces moments surprenants aussi, où le jugement du lecteur est sollicité pour savoir ce qu’il veut voir, retenir de telle scène ou de tel personnage. Comme dans Look Back, Tatsuki Fujimoto semble chercher des réponses à plusieurs questions ou, a minima, les soumettre aux lecteurs. Parmi celles que j’ai cru apercevoir : le réalisateur est-il sincère dans ce qu’il montre ? À quel point doit-il s’impliquer pour que le résultat soit jugé comme « bon » ? Qui doit juger ? Quand est-ce qu’il peut dire que c’est LA bonne version et qu’il n’est plus nécessaire de la retravailler (une question qui fait écho aux propos de Reno Lemaire lors de la conférence donnée par ce dernier au dernier Festival d’Angoulême si vous y étiez) ? La narration doit-elle être manipulée pour induire le lecteur en erreur (coucou Shintarô Kago) ? Ces questions peuvent bien sûr se poser en dehors du cinéma et concerner les auteurs de bande dessinée, les créateurs artistiques en général.


En plus de ces questions qui traversent les pages, on pourra repérer les éléments que l’on retrouve ailleurs dans la bibliographie de l’auteur (la mer, l’aquarium, la passion pour le cinéma, les relations sociales…) et saluer à nouveau le talent de l’auteur pour créer une connivence avec le lecteur au fil des pages, alors que certains gestes reviennent et convoquent des éléments vus plusieurs pages auparavant. Résultat garanti sans effets secondaires.


Adieu Eri ne contient pas de postface mais mentionne les 8 assistants qui ont épaulé T. Fujimoto. Il constitue peut-être bien mon one-shot préféré de l’auteur. Et il me rappelle que j’ai toujours envie de laisser un avis global sur Fire Punch, un de mes mangas préférés.


Traduction et adaptation par Sébastien Ludmann (qui est aussi aux fourneaux dans le trop méconnu Gloutons & Dragons, voilà pour le moment propagande).


N.B. : Le titre de cet avis est inspiré de celui du film de Christophe Agou. Si vous l’avez vu vous devriez comprendre le clin d’œil (on ne crée pas à partir de rien, n’est-ce pas ?)


Créée

le 6 févr. 2023

Modifiée

le 6 févr. 2023

Critique lue 136 fois

Anvil

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