Grant Morrison nous plonge de nouveau dans les tourments de son esprit où une phrase, une image, un personnage peut signifier mille et une choses différentes.


Annihilator raconte l'histoire de Ray(mond) Spass, un scénariste hollywoodien à succès en panne d'inspiration en pleine tentative d'éciture de son nouveau chef-d'oeuvre dont Max Nomax est son nouveau personnage. Un jour après que lui soit diagnostiqué une tumeur au cerveau et oppressé par la demande envahissante du studio pour lequel il écrit, Ray est au bord du suicide. Devant lui apparaît alors Max, sa propre création.


Max lui révèle qui il est vraiment. C'est une sorte de criminel du futur échappé d'une prison spatiale. S'il apparaît devant Ray c'est simplement qu'il a implanté en lui toute son histoire jusqu'à son évasion. Ces données sont en réalité la tumeur de Ray. Pour se débarrasser de sa maladie, Ray va devoir déployer toutes ses ressources pour se souvenir, via la puce data (ou tumeur) dans sa tête, de l'histoire de Max Nomax.


Il y a un double enjeu. En sortant les données de sa mémoire, la tumeur de Ray se réduira jusqu'à disparaitre. Pour Max, il s'agit de comprendre comment il a pu s'échapper de cette prison orbitale dans l'optique de vaincre Makro, un ennemi surpuissant toujours à sa poursuite. L'un dépend donc de l'autre.


Nous n'irons pas plus loin dans le résumé de l'aventure, cette introduction suffisant emplement à poser les bases d'une réflexion dont seul Grant Morrison a le secret et parfois les clés de la compréhension de ces multiples intentions. Pour être tout à fait honnête, à moins d'avoir terminé les six chapitres, vous ne comprendrez pas la moitié de ce qui va suivre. Les idées se contredisent, peuvent aussi évoluer et s'entrechoquer sans grande cohérence. C'est ce qui est intéressant avec l'auteur qui ne perd pas une occasion de nous embrouiller... et il faut avouer que dans un sens c'est particulièrement ludique et relativement jouissif.


C'est très vite que nous faisons le rapprochement entre le personnage de Ray, scénariste désabusé au bord du gouffre, et Grant Morrison lui-même qui base une partie de sa réflexion entre le créateur "Morrison" et sa création "Ray". Cette mise en abyme prend un nouveau relief dans l'autre récit où Max, la création est liée à Ray, le créateur. Un texte dans le texte qui se complexifie tout en réussissant à poser des enjeux clairs et cathartiques, qui aideront les auteurs (Morrison, Ray) et les créations (Ray, Max) à dépasser leur condition et ainsi franchir les épreuves et évoluer.


Grant Morrison va encore plus loin dans son labyrinthe mental où tous ses personnages pourraient être un reflet des différentes personnalités de Ray. En effet, Max Nomax peut aussi être vu comme une partie de Ray qui tente de redonner vie à son chef-d'oeuvre au coeur de sa prison. La prison spatiale de Max ressemble ainsi à une sorte de prison mentale pour Ray où ses idées refusent de sortir. Il est prisonnier de sa condition, de sa solitude et de son passé amer dont sa femme tenait une place importante et qui se manifestera ici de plusieurs manières. Ainsi cette aventure spatiale est aussi le récit de la descente aux enfers de Ray.


Ray est un personnage à l'esprit torturé dans un combat perpétuel sans pitié entre le retour de l'inspiration et la peur de l'oubli, de ses idées ou de lui-même. Cette notion est le coeur battant du récit. L'annihilation en tant qui pire ennemi et fatalité ultime. Le vide, le trou noir, l'identité perdue, le nom même de Ray renvoie au vide, Spass se prononçant "Space", le personnage insistant largement dessus.


Ce sont donc des centaines d'images que Morrison tente de nous renvoyer. Si le rapport entre la création et son auteur revient souvent, que la culpabilité de Ray prend vie dans son esprit et devant lui, le Ray en tant que propre objet de sa destruction est sublimé par les angoisses même de l'auteur, le vrai, Grant Morrison. Ils parcourent ensemble (Morrison et Ray) leur mémoire, cette introspection fait ressentir tout un tas d'émotions qui nous plonge dans leur intimité et dans ce rapport toujours aussi ambigu entre l'oeuvre et l'auteur.


Grant Morrison pourrait paraître très égotiste, cependant sa démarche nihiliste est plus complexe que cela. Il va au bout de son idée en essayant même d'aller plus loin encore quitte à perdre momentanément le lecteur en route. En maître de la déconstruction narrative il nous parle d'usurpation, de mort et de dépression, des erreurs commises qui ont conduit Ray Spass à de telles extremités.


On parle aussi de paranoïa, d'oubli, de remords et d'abandon de valeurs, on aborde des thèmes sombres et malsains. Cependant, il ne faudrait pas oublier qu'Annihilator c'est aussi une histoire de reconstruction, de libération et de rédemption par la torture psychologique et métaphysique. C'est en effet un parcours initiatique semé d'embûches et une douloureuse quête identitaire qui aura des conséquences aux effets variés autant pour les créateurs, les créations et les lecteurs.


Comme à son habitude Grant Morrison livre une mise en page fantastique, bien que moins originale que Nameless ou Kid Eternity. Le style graphique ici employé c'est l'infographie, un art informatique. On a beau à s'y habituer rapidement, il manque tout de même ce supplément d'âme du travail au crayon ou au pinceau. Frazer Irving nous offre cependant quelques planches d'une beauté remarquable, notamment dans la partie "Spatial" de l'oeuvre.


La longueur de cet avis, qui n'en est pas vraiment un, ne rend absolument pas honneur aux richesses incalculables de l'histoire de Grant Morrison, il est impossible d'exposer toute l'analyse grafouillée en amont sur papier. De plus, en une seule lecture, il est autant improbable de saisir la moitié du propos d'un auteur définitivement unique en son genre.


Pour le lecteur acharné prêt à s'ouvrir à de nouveaux horizons et à une conception transcendante du comics, le travail de Grant Morrison est une mine d'or inépuisable dont cet ouvrage en est une nouvelle preuve.

MassilNanouche
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le 23 mai 2016

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