Bakuman
7.2
Bakuman

Manga de Tsugumi Ōba et Takeshi Obata (2008)

Un nekketsu bien frileux.

Il y a quelques mois j'ai lu l'intégralité des Bakuman. Je n'avais jamais entendu parlé du manga avant, et quand j'ai vu puis feuilleté les premiers tomes, j'ai été plutôt charmé. Des dessins d'Obata (que je ne voyais pas encore partout à l'époque), et surtout, un thème très intéressant, celui de l'édition du manga.
En très résumé, le scénario nous présente deux personnages voulant devenir mangaka. L'un étant dessinateur, et l'autre scénariste (comme les réels créateurs du manga en fait).

Bakuman est une assez bonne série. Le scénario possède quelques bonnes idées, la qualité technique est presque irréprochable... Malgré cela, j'ai été assez déçu au fil de ma lecture.

Avant tout, le manga est un gros paradoxe : "parler de l'édition japonaise, en étant soit-même édité par la société dont on parle"... j'ai voulu croire à un coup de massue, à une polémique, à des couilles posées sur une table.
Mais non.

Pour faire bref, l'édition des manga au japon (et particulièrement des shonen) fonctionne ainsi : l'éditeur contrôle ce qui est dessiné, au point d'être un véritable deuxième scénariste, et les lecteurs votent régulièrement pour leur série préférée au sein du magazine, ce qui décide de l'arrêt ou de la poursuite des séries.
Deux problèmes donc : le mangaka n'est pas propriétaire de son oeuvre et une trame scénaristique sera toujours dépendante du goût des lecteurs, et souvent bancale sur la fin à cause de l'épée de Damoclès sur la tête du mangaka.
Bakuman expose souvent ces problèmes. Certains personnages viennent défier ce système, d'autres essaient de le contourner. Bref, le manga pose clairement les bonnes questions.
Le problème c'est qu'il répond à côté de la plaque.

Là où un boulevard était tracé pour critiquer ce système dégueulasse, les auteurs décident frileusement de jouer la carte du courage, de la volonté et de la passion de leur deux héros :
C'est dégueulasse d'être traité ainsi !... Mais quand même, heureusement qu'on a la passion et l'envie de plaire au public.

Et c'est là où le bât blesse : un sujet intéressant et plutôt didactique vient se perdre dans les marécages du shonen de base. Des héros, un but, des rivaux, de la volonté... Le manga se transforme petit à petit en une caricature de ce dont il comptait parler, une simple transposition de codes sur un thème un peu original.

Evidemment que ça marche de transposer ces codes à n'importe quoi : Naruto et les ninjas, Toriko et la cuisine, Kuroko et le basket... Ces codes mettent en avant l'idée même du climax et de l'opposition de personnages, il est logique que cela fonctionne auprès des lecteurs qui ne peuvent lire qu'un chapitre par semaine (je parle bien des lecteurs japonais qui lisent en prépublication dans les magazines en question).

Certains diront à raison qu'on "ne peut pas mordre la main qui nous nourrit", que des auteurs ne peuvent pas critiquer le système d'édition dont ils font parti... bla... bla...
Mais si ils ne peuvent pas, c'est justement parce que le système d'édition japonais ne laisse pas ce genre de liberté. Il est donc paradoxal de s'attaquer à un sujet du genre sans pouvoir aller jusqu'au bout.
Quitte à être pieds et poings liés, autant ne pas nous teaser avec des personnages qui ont raison de critiquer le système.

"Frileux" : c'est donc le premier adjectif qui me vient en tête quand je dois décrire Bakuman. Frileux dans sa volonté critique, mais aussi dans ses idées. Car même si il y en a des bonnes, encore une fois, on aurait pu espérer en voir plus.

Parler d'un manga qui traite de la création de manga amène à opposer des auteurs, et surtout des dessinateurs. A un moment dans le manga, les héros lisent le chapitre d'un concurrent en entier, et celui-ci prend donc la place du manga lui-même en pleine page. Une mise en abyme géniale. Mais malheureusement unique.

La mise en abyme, voilà un autre chemin qu'aurait pu (dû ?) prendre Bakuman. Là encore, un éventail gigantesque de possibilités s'offrait aux auteurs. Il est extrêmement frustrant de voir les personnages se multiplier dans le scénario - surtout quand tous sont des mangaka - sans pour autant lire leurs œuvres. Les différents mangaka ont chacun leur projet au sein du scénario, mais le lecteur de Bakuman ne profitera de leur création que par le biais de portraits de leurs héros respectifs, lors de comparatifs de popularités ou autres.

De plus, il était évident qu'avec un thème comme celui-ci, le nombre de bulles à lire serait important. Peu de scène peuvent être décrites uniquement visuellement. Ce n'est pas une mauvaise chose en soit, mais on se rend vite compte qu'on peut tout comprendre de l'histoire en ne lisant que les bulles, les dessins n'étant là que pour décrire les sentiments (excessifs) ou les mises en scène (exagérées) des personnages. Et ce défaut se fait encore plus ressentir avec ce manque de mise en abyme.

Finalement, si Bakuman ne souffrait pas de ces défauts pendant 20 longs tomes (et au vu du nombre de bulles, un tome est vraiment très long à lire), c'est un manga que j'aurais conseillé. Il est malgré tout didactique et en apprend beaucoup sur le monde de l'édition des mangas.
Il est cependant dommage que le lecteur doive lire entre les lignes pour comprendre à quel point le système d'édition japonais est mauvais. Car qui mieux que des mangaka auraient pu critiquer le monde du manga.
Rufio
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le 22 oct. 2014

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