Le titre de la critique n'est pas anodin tant il est difficile de bien vieillir. A fortiori dans ce genre qui à l'époque de la parution de la série en question, était un carcan particulièrement étouffant pour tout auteur US : la BD de super héros. Devenue mono maniaque des hommes en collants pour un public d'adolescents, les parutions US n'avaient alors presque aucune place pour quoi que ce soit d'autres et la volonté farouche d'élargir l'horizon et le marché n'est pas la chose la moins excitante qu'on peut voir Frank Miller faire dans cet album - et Dieu sait qu'il fait bien des choses excitantes dans Dark Knight !

Pour terminer sur l'aspect "vieux con / histoire", il est aussi intéressant de noter que c'est précisément cette bédé qui a ressucité Batman. Gros succès du comic book, elle a motivé la production du film de Burton avec Jack Nicholson qui, à défaut de m'exalter personnellement, marque clairement une étape clef dans la place des super héros dans la culture de masse. Le succès de Miller ouvra également la porte à celui de deux bédés anglaises sur l'homme chauve-souris, chacune excellente : Smile, d'Alan Moore et Brian Bolland, et le tout à fait stupéfiant "Arkham Asylum" de Grant Morrison et de ce génie insurpassé de l'image de Dave Mc Kean. Une sacrément bonne période pour Batman, aucun doute là dessus !

Alors Dark Knight, qu'en dire ? D'un point de vue BD, c'est évidemment le genre de référence universelle qui revient fréquemment dans les conversations d'auteurs ou de passionnés. La forme est innovante. Elle puise intelligemment dans une culture BD qui dépasse largement le continent américain, passe notamment par l'Europe, se prend une dose de testostérone maousse de l'auteur qui se bâtit au passage une réputation méritée de maitre absolu en la matière, tant il est vrai que seul lui peut donner des pages aussi puissantes et jubilatoires quand il s'agit de mettre en scène un affrontement entre personnages forts en gueule. Son arme de choix : les monologues internes de ses personnages qui accompagnent l'action, vont jusqu'à se croiser (des effets de style subtils indiquant qui parle). On peut y trouver dans ses productions ultérieures un certain systématisme fatiguant, mais pas dans Dark Knight, où chaque phrase est chargée de conviction, de sens, de violence, de nécessité, où le procédé n'a pas de place face à la rage d'écrire et d'en mettre plein la gueule.

Et plein la gueule... oui, on en prend plein la gueule. On en prend TOUJOURS plein la gueule, la bédé a admirablement vieilli. Comme le Batman qu'elle met en scène, papi est de retour pour vous en coller une bonne qui va vous redonner un brin de perspective sur ce que vous croyez savoir. L'histoire : Bruce Wayne, qui a bien dépassé les 50 piges et raccroché la cape depuis un moment, reprend du service parce que, vraiment, "Monde de Merde", et aussi, en pointillé, parce que quelque part il a besoin d'adrénaline pour oublier qu'il vieillit. Il affronte successivement Two Face, le gang des mutants et son horrible chef, le Joker (oubliez tous les Jokers que vous avez vu, celui là n'est jamais sympathique ni même drôle) et pour un final absolument anthologique, ce gros pétochard de Superman.
Malgré l'aspect séquencé, tout se passe dans un continuum avec une progression et l'arrière plan dramatique d'un président (explicitement Reagan !) à la ramasse et d'une troisième guerre mondiale imminente. Comme tout bonne histoire de genre, rien n'est gratuit et toute l'histoire contient en creux un questionnement pas encore aussi facho que dans 300 sur notre rapport à la violence, à la loi et à autrui dans les centres urbains modernes. De façon remarquable, la loi y est en général un instrument de mensonge et d'oppression, et Batman s'attache au final bien plus à l'éthique et la légitimité. On est en plein dans la thématique chère au pays des cow boys du type qui fait police, juge et bureau et qui assume à mort.

Presque tout les éléments de la bd, la batmobile char d'assault, le majordome d'une causticité absolue, le Batman en bute avec la Police, etc... vous sembleront familiers, parce que presque tous ont été réutilisés ailleurs. En moins bien, la plupart du temps. Le graphisme, qui peut sembler austère ou grossier au premier regard, s'avère à la lecture d'une puissance stupéfiante, avec des aérations bien senties, énormément de mouvement et quand il le faut, des putains de pains dans la gueule. Et c'est bien ça qui fait que la lecture est toujours recommandée : globalement, si vous rentrez dedans, vous allez vous éclater. Vous allez tellement vous éclater que ça vous fera tout drôle après.
Grégory_Makles
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le 28 juin 2011

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Grégory_Makles

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