Pour ceux qui sont curieux de l’histoire, ce n’est pas par ici ! Ma critique ne porte pas non plus sur le foisonnement de questions sociales que la bd soulève, ni sur la psychologie des personnages, même si j’adorerais pouvoir en traiter! Mais d’autres l’ont fait avant moi. C’est pourquoi je vous propose ici une critique qui porte essentiellement sur le dessin, son esthétique et sa technique (ou plus modestement, de ce que j’en ai compris).


Pourquoi le coup de patte de Juanjo Guarnido m’a t il touché au cœur ?


Je vais vous parler de ce que je comprend et de ce que j’apprécie dans l’aquarelle et ses couleurs, le trait et les formes, ainsi que les lumières et leurs ambiances.


Je commence avec la représentation des corps, dont le dessin traduit toute leur masse, toute leur pression et leur matérialité. Par exemple, le poids du corps nu d’Alma contre celui Blacksad au matin, ou encore la représentation du corps mort de Dinah à terre : son visage est pressé contre le sol et tout son corps pèse contre le plancher, tombé comme l’aurait fait un corps matériel.


Toute la puissance animale, dans sa force et dans sa motion est représentée dans le corps des animaux mâles. Cette puissance est toujours rendue par un dessin qui capte et retranscrit avec justesse les masses musculeuses grâce à un jeu d’ombres et de techniques. Les musculatures sont maîtrisées par les coups d’encre secs, fournis ou géométrisés, qui « contiennent » ces corps puissants dans le contour des fourrures ; l’aquarelle quant à elle étoffe les corps en représentant les textures des fourrures denses, onctueuses ou « fluffy », par des nuances chromatiques diluées, plus souvent superposées ou juxtaposées par petites touches. Ainsi, l’ombre et la lumière jouent ensemble dans les pelages, et épousent les ombres des poils, en tâches claires et sombres.


Chez les femmes, on observe que la couleur n’est pas « coupée » au blanc ou au noir en fonction de la lumière, mais est assombrie par plusieurs couches de la même couleur, et diluée quand les teintes s’éclaircissent pour faire voir la feuille en transparence (vrai dans les 3 premiers tomes). Le résultat est, pour les corps, de la couleur pure, de puissants ocres en général, donc très belle car non altérée par rajouts de noirs ou blancs, utilisés pour les représentations des tissus.
Le blanc pur est rarement utilisé, sauf dans les moments d’émotion : brillance des larmes, corps brillement éclairés des femmes dans la pénombre ou pour la brillance du poil, comme les moustaches qui indiquent par leurs inclinaisons l’état du personnages.


Le plus beau dans ces corps, en plus des formes sublimes, est la tension qui se créer entre humanité et animalité : si les hommes conservent un visage animal, des yeux entièrement colorés et un corps proche de la bête, la question est plus ambiguë encore avec les femmes.


Véritables merveilles visuelles, elles m’apparaissent, avec les effets lumineux, comme les plus beaux éléments de cette bd.
Elles sont ambivalentes, entre le sublime et le « too-much », entre femme et femelle (elles ont des yeux humains), entre texture onctueuse des dégradés et lumières coupantes en aplats.

Leurs corps sont magnifiques, on en convient tous je pense, en voyant Alma allongée contre notre chat noir, avec son magnifique tracé linéaire qui courbe son corps, ou quand Dinah enfile un soutien-gorge en exposant son torse sculptural qui accroche les ombres, ou encore en voyant le dos de Jézabel quand elle couche avec le renard polaire. Mais c’est cette perfection plastique qui nous mène au « too-much » car agit à la longue comme un pochoir (mais qui va s’en plaindre ?). Cet aspect pour moi est également dans les touches de rouges trop vifs qui colorient leurs bouches déjà marquées par leur saillance.


Car dans Blacksad, les couleurs ne sont pas faites pour être vives. On le voit particulièrement dans Arctic-Nation : la scène où Kyle est à l’école. La neige et le ciel trop bleu, le manteau trop rouge, et le portrait de la petite Kyle en pleine lumière, tout cela ne rend plus bien. Les corps tombent dans un effet « plastifiés », et non plus dans l’entre-deux intriguant peau/fourrure qu’entretient la pénombre permanente de la bd (et c’est pour cela qu’Amarillo est pour moi beaucoup moins réussie que les autres au niveau des couleurs).


Pénombre permanente, sauf à certains moments de couleurs claires et vives qui traduisent la lumière, et que l’on retrouve encore majoritairement dans les corps aux formes souples des femmes. Ces derniers, tout en courbes, contrastent avec les lumières anguleuses qu’ils renvoient : sur les visages, particulièrement, les lumières sont coupantes, j’entend par là des aplats clairs et transparents mais non nuancés qui aplanissent les formes.

Car oui, parlons en de la lumière.


Blacksad est travaillé dans ses ambiances, au détail près (ex : le temps des dialogues coïncide avec le temps des chansons, si si !), et pour moi elle passe avant tout dans les lumières : je parlais de texture de peau, je parle maintenant de la texture lumineuse, qui s’acclimate à tous les éclairages possibles avec brio.


Aussi bien sous l’eau que dans la fumée, aussi bien dans les feuillages que dans les chutes du Niagara fumantes, aussi bien dans les fourrures que sur la peau, la lumière est toujours juste. Et ce dans les plus complexes situations : un corps vu sous l’eau en contre-plongée avec le soleil en transparence (Amarillo), des clairs-obscurs aussi complexes que représenter dans une même pièce la lumière du soleil et de centaines de bougies (L’Enfer, le Silence), ou d’autres originales comme dessiner la translucidité des flocons de neige devant un incendie (Artic-Nation).


Pour un seul exemple : la lumière dans la fumée au début de Âme Rouge. Il y a une dissolution permanente de taches de couleurs entre elles qui donne l’effet brumeux, mais qui, plus que diffuser la lumière, noie celle ci ! Et le morceau de bravoure (parmi tant d’autres) de cette ambiance lumineuse est qu’elle capte le mouvement : quand le lièvre saisit les billets, on perçoit d’un seul coup la dimension dans laquelle se meuvent les personnages, qui est un espace saisit dans sa profondeur, dans ses altérations, représenté comme une sorte d’éther flottant, que l’on retrouve dans toute la bd, comme si l’air était toujours palpable et matériel, et ce grâce à l’aquarelle.


Pour finir, une petite phrase de mon éclaireur Aden Gaki qui m’a fait découvrir Blacksad : « On dirait du cinéma papier! ». Car oui c’est tout à fait ça Blacksad, du cinéma sur papier, avec sa matérialité, son volume, ses mouvements, sa richesse, ses ambiances et ses jeux de lumières!
Voilà tout ce qui me plaît tant dans le dessin de Juanjo Guarnido,que je ne peux que vous conseiller !

CosimaDegio
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le 31 mars 2016

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Cosima .

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