Je me baladais dans une librairie de bandes dessinées quand soudain mon regard fut attiré par ce titre : "Les fils d'El Topo". Quel titre étrange... serait-ce un gros clin d’œil à l'ami Jodo ? Je regarde les auteurs et là je constate que c'est Jodo au scénario. Serait-ce donc la suite du film ? J'ouvre, une intro signée Jodo où il explique que Hollywood ne pense qu'à faire de l'argent et que des œuvres profondes comme les siennes ne les intéresse pas (ha il se prend pas pour de la merde, l'ami Jodo) ; il explique qu'après le succès underground (dans un cinéma porno) de son film "El Topo", il a écrit une suite mais n'a jamais pu trouver l'argent pour le réaliser. Il décida alors d'en faire une BD mais il voulait le bon dessinateur. Et ce bon dessinateur il l'a trouvé tout récemment, ce qui a mené à cet album.


Et il a bien fait d'attendre, car ce dessinateur, que je ne connaissais pas du tout, est juste génial. Le style réaliste fonctionne à merveille : quelques traits suffisent à fixer les personnages et l'ambiance. Les personnages sont expressifs, les décors riches... on croirait voir des photo qu'on a dessinées. Le découpage fonctionne très bien, sans doute une des BD les plus cinématographiques avec celles de Loisel. Jodo explique qu'il a voulu travailler sur trois bandes pour rappeler le cinéma : je ne suis pas d'accord, d'ailleurs les vignettes sont plus souvent verticales que horizontales, mais par les cadrages, par l'utilisation de zoom, par des inserts judicieusement employés, les auteurs rappellent la grammaire cinématographique. Et ça marche ! C'est vraiment bon. Et puisqu'on en est au cinéma, on peut parler de casting. J'aime beaucoup le choix des gueules de personnage. Surtout que, si l'on y regarde bien, les tronches des deux frangins ressemblent assez bizarrement à celle de Jodo lui-même. J'imagine que c'était là une instruction du scénariste. Et c'est sans doute là un avantage de la BD sur le cinéma, c'est que ce genre de trucage complètement fou peut fonctionner. Les couleurs m'ont fortement emballé aussi : c'est réalisé à l'ordi, mais le coloriste parvient à amener de la matière et évite judicieusement les fondus froidement réalisés. Cet habillage apporte un petit plus au noir et blanc pourtant déjà suffisamment équilibré pour tenir en lu-même (j'aimerais bien voir les planches originales en noir et blanc d'ailleurs).


Je craignais que cet album ne raconte pas grand chose du fait que ce n'est qu'une première partie et qu'on sent très vite que le récit sera long (j'imagine que le film aurait fait au moins deux heures dans sa totalité et que ce premier tome n'en couvrirait qu'une quarantaine de minutes maximum) ; finalement, le scénariste s'en sort assez bien. Parce qu'au-delà de l'intrigue principale et des ponts avec le film (qui ne gênent pas si on ne connaît pas le film, ça ajoute juste du mystère, ça donne l'impression qu'il y a toute une mythologie secrète), Jodo raconte avant tout l'histoire de cet homme que personne ne peut voir et qui ne peut donc exister. C'est un brin philosophique même si ce n'est pas développé, amis ça donne lieu à de belles scènes. Et là on en revient à une grammaire cinématographique. L'histoire est vraiment racontée au travers de scènes. Habituellement en BD, tout s'enchaîne si vite et de façon si entremêlée que ce terme me gêne. Alors qu'ici on a clairement des séquences avec des transitions. C'est tout bonheur. C'est un genre de traitement et de découpage qui me plaisent énormément. Dommage que Jodo n'ait pas été plus radical dans le traitement de Caïn : n'avoir que lui et son père ça aurait été génial, et ensuite aborder Abel dans le second tome (j'imagine que l'accent sera mis sur lui mais on y recroisera Caïn aussi, certainement).


Ha et notons que l'album comprend quelques femmes rondes dont une qui se fait prendre par le héros de cet album. C'est assez sexy, mais c'est une scène sale. J'en viens à me demander si Jodo aime les ronde ou si au contraire elle lui inspire du dégoût. Je ne sais pas. Peu importe. Moi ça m'a plu. Surtout sous le trait de pinceau du dessinateur ! Ses pleins et déliés sont délicieux ce qui lui permet de mieux mettre en valeur ses personnages et donc cette femme ronde. Ha et je dois dire aussi qu'après avoir lu le texte introductif, j'ai feuilleté vite fait l'album et suis tombé sur une page où le dessinateur reprend deux fois la même cases juste en changeant le texte. j'ai bien regardé et je n'ai pas vu la moindre différence entre les deux cases (si ce n'est un zoom), je suis donc sûr à 98% qu'il s'agit d'un simple copier-coller et non d'un travail minutieux à la table lumineuse. À cause de ça, je me suis dit : merde, si dès les premières pages feuilletées je tombe sur ce genre de truc, le dessinateur n'est ptet pas aussi génial que ce que Jodo prétend. Heureusement c'est le seul cas que j'ai repéré, et je peux bien comprendre qu'il ait saisi cette occasion pour relâcher la pression tant le reste de son travail est impressionnant. Et puis, je pense que ce devait être une volonté des auteurs : reprendre la même case en zoomant dedans, ça fait penser à un coup de zoom dans l'image pendant qu'on filme. On rejoint à nouveau la grammaire cinématographique. Les scènes sont d'ailleurs découpées comme un film, avec un plan d'ensemble, des champs et des contre-champs, des inserts...c'est vraiment bon.


Bref, ce premier tome est une réussite grâce au dessin impeccable ; quant à l'histoire elle aurait pu être traitée de manière plus radicale, éviter aussi peut-être les ponts explicatifs avec le film (le début n'est pas très bandant même s'il s'y passe des choses intéressantes).

Fatpooper
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le 26 juin 2016

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