Ce tome fait suite à Une vie de souffrance (épisodes 43 à 48) qu'il faut impérativement avoir lu avant. Il comprend les épisodes 49 à 54, initialement parus en 2008, écrits par Robert Kirkman, dessinés et encrés par Charlie Adlard, avec des trames de gris apposées par Cliff Rathburn.


Après l'affrontement hallucinant du tome précédent, les circonstances contraignent Rick Grimes et son fils Carl à reprendre la route pour repartir à zéro. Michonne part de son côté en suivant des traces de pas ensanglantées qui s'éloignent du van de Dale. Carl est traumatisé par les événements récents, au point de ne plus souhaiter vouloir s'alimenter. Rick subit le contrecoup de la blessure qu'il a reçu à l'estomac. Le père et le fils visitent une supérette rapidement, devant éclater le crâne de quelques zombies présents sur les lieux, ne trouvant presque rien à récupérer en termes de nourriture. Ils poursuivent leur progression jusqu'au pavillon le plus proche où ils s'installent après s'être assurés de l'absence de zombies. Rick avale quelques antibiotiques trouvés sur place et perd connaissance en proie à une très forte fièvre.


Carl Grimes se retrouve livré à lui-même. Il se conforte grâce à la présence d'une arme à feu à sa ceinture. Il se jure de veiller à la sécurité de son père. Il finit par tenter une sortie pour éloigner les zombies de l'abord de la maison et éviter qu'ils ne finissent par réussir à en forcer l'entrée par leur simple nombre. Après avoir récupéré, Rick Grimes se retrouve pris au dépourvu quand le téléphone de cette maison se met à sonner. Il finit par trouver la présence d'esprit pour y répondre et est encore plus décontenancé d'entendre une voix au bout du fil. Après cet intermède coupé du reste du monde dans ce pavillon en huis clos, le père et le fils se remettent en marche, et Carl prend sa première leçon de conduite.


Il est certain que l'effet produit par cette lecture sous forme de recueil par tranche de 6 épisodes, plusieurs années après leur parution en feuilleton mensuel, ne produit pas le même effet qu'une lecture épisode par épisode, voire que le lecteur a déjà eu vent de quelques-uns des retournements de situation qui surviennent dans ce tome ou dans un autre. De fait, il sait que la série continue par la suite sur de nombreux épisodes, et que Rick Grimes poursuit sa vie. Pourtant il ne peut pas anticiper les différentes scènes. Dans le tome précédent, Robert Kirkman avait conduit la situation de la petite communauté dans la prison, à sa conclusion inéluctable, rappelant que l'homme est un loup pour l'homme. Il avait mis en scène qu'un responsable de communauté, un chef disposant d'une forme de pouvoir temporel doit disposer de certaines qualités, ou d'une tournure d'esprit lui permettant de supporter cette pression, cette lourde charge de prendre des décisions engageant la vie et l'avenir d'autres êtres humains, avec 2 exemples diamétralement opposés : Rick Grimes apprenant sur le tas, le gouverneur emmenant tout le monde dans sa folie.


Dans un premier temps, le lecteur se dit que Robert Kirkman a choisi la solution de facilité. Il avait tiré tout le profit de la situation précédente dans la prison et il a souhaité tout envoyer promener pour repartir à zéro, avec les coudées franches, sans impedimenta, comme s'il s'agissait de tout reprendre depuis le début. Mais bien vite, il constate que la continuité avec le massacre insoutenable est bien assurée, à commencer par les conséquences de la blessure de Rick Grimes. À nouveau, ce n'est pas forcément l'élément narratif le plus solide du récit. Le personnage prend les premiers cachetons venus dans une armoire à pharmacie de salle de bain et ils font leur effet sans que Rick n'ait besoin de suivre le traitement pendant une semaine ou plus, comme un individu normal. À cela se rajoute, le coup de téléphone. Le lecteur grimace déjà devant cet appareil qui fonctionne miraculeusement, contre toute probabilité (mais il y a une explication très convaincante par la suite). Le scénariste s'avère beaucoup plus adroit en ce qui concerne la continuité de l'état d'esprit des personnages.


La lutte sans merci entre la communauté de Rick Grimes et celle de Philip Blake a constitué un traumatisme d'une ampleur désespérante, et effectivement Carl et Rick souffrent de trouble de stress post traumatique chacun à leur manière. Le jeu d'acteur de Carl Grimes (un enfant d'une dizaine d'années) n'est pas toujours convaincant. L'écriture de Kirkman laisse apparaître les ficelles et montre des réactions pas toujours en phase avec un enfant de cet âge. La narration visuelle de Charlie Adlard repose toujours autant sur une exagération dramatique du langage corporel et des expressions des visages. Le lecteur peut admettre que le fils comme le père aient les nerfs à fleur de peau et que chaque contrariété prenne les dimensions d'un drame, mais finalement Carl réagit juste comme un adulte avec une intelligence limitée, plus que comme un enfant. Malgré tout sa situation et ses réactions prennent aux tripes.


Le lecteur a beau avoir conscience de ce que Robert Kirkman prépare avec ce personnage, en le soumettant à des traumatismes successifs (la mise à disposition d'une arme à feu à une jeune âge le rendant tout puissant, le retrait de l'arme à feu agissant comme une métaphore de la castration, les disparitions de son père, le handicap de son père faisant de Carl le mâle en bonne santé, la présence de tous les instants de la mort sous les yeux incarnée dans les zombies, et les deuils successifs), il ressent de l'émotion à voir cet enfant soumis à de tels conditions pendant sa phase d'apprentissage. Il voit littéralement l'effet dévastateur qu'ont ces conditions sur le développement de sa psyché, sur la construction de sa personnalité, en martelant jour après jour que toute sécurité peut disparaître d'une minute à l'autre. Paradoxalement, la justesse douteuse du jeu d'acteur de Carl évite tout voyeurisme ou tout effet tire-larme, pour plus insister sur les conséquences de ces traumatismes psychologiques à répétition. Ce mécanisme est encore souligné lors d'une scène avec une autre enfant (Sophia).


Du coup, le lecteur garde ce thème à l'esprit tout au long de ce tome, et y prête plus d'attention que d'habitude. Il n'est pas nouveau puisque la décision de Carol dans le tome 7 avait abordé la question de front, et que le lecteur avait déjà relevé le comportement très bizarre de Michonne à plusieurs reprises. Il observe alors le comportement de Rick Grimes et la façon dont lui aussi paye le prix des traumatismes des épisodes précédents. Il se pose la question concernant Abraham Ford et le choix qu'il a fait vis-à-vis d'Eugene Porter, en quoi il s'agit d'un mécanisme d'adaptation. Comme à son habitude, Robert Kirkman se tient à l'écart de tout vocabulaire psychanalytique, mais il montre le coût psychique pour chaque individu, et traite de la question de résilience par les exemples de comportement de personnages, préférant rester à l'écart de toute théorie de nature psychologique. Après autant d'épisodes, le lecteur a développé une forme d'attachement étrange avec les personnages. D'un côté, il ne peut pas oublier qu'il s'agit d'un récit fictif, avec des protagonistes artificiels créés par l'auteur pour les faire souffrir et endurer des épreuves au-delà de toute plausibilité. De l'autre côté, il ressent au moins la curiosité assez morbide de savoir comment ils vont s'en sortir. Il est constamment déstabilisé par la certitude que les zombies n'épargneront personne, et peut-être pas même Rick Grimes sur le long terme. Il se sent impliqué par le fait que ces individus ne bénéficieront plus jamais d'une forme de tranquillité, devant se méfier de chaque ombre, de chaque environnement, et de chaque nouvelle rencontre, et aussi d'eux-mêmes. Non seulement cela le maintient sur ses gardes à chaque page, mais en plus cela crée un sentiment de pitié irrépressible pour ces individus soumis à une pression intolérable, à un changement constant, et souvent pour le pire, à des bouleversements qui empêchent de se projeter dans l'avenir, de construire un futur meilleur.


En outre ces épisodes attestent que Robert Kirkman n'a aucune intention de recommencer tout à zéro et de proposer une nouvelle itération des 8 premiers tomes. Il s'agit d'entamer un nouveau cycle, mais pas de reproduire le précédent à l'identique. Bien sûr il est possible de s'offusquer de l'arrivée, bien opportune pour l'intrigue, d'Abraham Ford et du savoir inopiné d'Eugene Porter sorti de nulle part. Mais quand le lecteur se fait cette réflexion, il comprend qu'il s'est à nouveau laissé emporter par les mécanismes narratifs des auteurs, au point de s'immerger dans le récit comme s'il s'agissait d'un reportage pris sur le vif, comme s'il participait à cette forme de survie à haut risque. Bien sûr qu'il s'agit d'un récit d'aventure assez pervers, utilisant les artifices narratifs propres aux récits d'aventure, avec rebondissements, coups de théâtre et coïncidences survenant au moment opportun.


En outre le lecteur est tout entier dans l'histoire, entièrement accaparé par le sort des personnages, fasciné par chaque rebondissement, hypnotisé par chaque action, à nouveau oublieux de la dimension visuelle de la narration. Décidément, Charlie Adlard passe systématiquement au second plan avec ces dessins si fonctionnels, qu'il est facile de ne pas y prêter attention, de les considérer comme interchangeables avec ceux de n'importe quel autre artiste. Le lecteur retrouve les caractéristiques de son approche graphique : ne pas noyer les dessins avec des détails superflus, habiller chaque surface avec des petits traits ou des petites tâches pour simuler une texture, appliquer des aplats de noir irréguliers pour donner du poids à chaque case ou à certaines formes, s'astreindre à des accessoires simples, ne pas hésiter à jouer sur la profondeur de champ pour donner du volume aux endroits. Cet artiste a évolué en dosant un peu mieux ses effets dramatiques à base de cadrage en contreplongée et de traits de visage distordu par la force d'émotions comme l'angoisse ou l'horreur. Le lecteur éprouve plus l'impression d'être aux côtés d'individus normaux, voire banals, dans des circonstances extraordinaires.


Adlard conserve des éléments intangibles dans sa narration visuelle, comme l'apparence crétine des zombies qui brille par leur absence d'intelligence et leurs gestes patauds au point d'en devenir presque comiques, dans un registre d'humour noir. Il continue de gérer certains dialogues sur la base de champs et de contrechamps, passant du visage d'un interlocuteur à celui de l'autre, dans une alternance focalisant l'importance sur les visages, mise en scène pas toujours prenante d'un point de visuel. En même temps, cette alternance insiste sur la banalité de la conversation, sur son aspect ordinaire. Plus les tomes passent, plus ce dessinateur perfectionne son art de la banalité. Il limite la garde-robe des personnages à des jeans et des teeshirts, ce qui est logique car il s'agit de vêtements pratiques et facilement trouvables dans les supérettes. Quelques protagonistes préfèrent porter des tenues paramilitaires, tout aussi adaptées à la situation de combat permanente pour se défendre des zombies. Adlard maitrise avec discrétion l'art du choix de l'accessoire ou de l'aménagement le plus rentable. Les trames de gris de Cliff Rathburn habillent chaque case, ajoutant des informations sur le niveau d'éclairement, et améliorant la lisibilité du dessin en créant des plans différents. Il suffit donc au dessinateur de peu de choses pour rendre un endroit unique. En y prêtant attention, le lecteur se rend compte qu'effectivement une simple chaise, une table ordinaire, ou encore des lames de parquet permettent de donner du caractère à une pièce. Comme dans le tome précédent, les arbres sont réduits à des silhouettes avec des contours flous pour rendre compte du feuillage, et cela suffit amplement pour donner l'impression convaincante au lecteur d'une forêt. Derrière cette apparente simplification, il y a une vraie maîtrise des formes, qui se remarque par exemple dans la morphologie des chevaux anatomiquement correcte. Charlie Adlard ne s'économise pas faute de compétences en dessin, mais il allège sciemment ses cases pour laisser le premier plan au récit.


Ce choix graphique n'obère en rien la qualité de la narration, et conserve la possibilité de nuances, comme de séquences remarquables. À part lorsque le scénariste exige un moment choc renforcé par une théâtralité appuyée, les personnages disposent d'un jeu d'acteur mesuré et juste. Alors que Dale essaye de réconforter comme il peut Rick Grimes, il lui touche délicatement la main pour établir un contact physique rassurant. Rick a un regard étonné et le lecteur en vient à se demander s'il n'associe pas ce geste sortant de l'ordinaire à la proposition étrange de Carol quelques tomes plutôt. Du fait du thème principal relatif au deuil et à la résilience, le lecteur est très sensible à chaque regard décalé, à commencer par ceux de Carl. Ils rendent effectivement bien compte du trouble psychologique qui est le sien faute d'expériences passées qui lui donneraient des repères, des stratégies pour gérer ses réactions émotionnelles. L'impassibilité de Michonne dans son comportement en devient d'autant plus expressive, par comparaison aux réactions émotionnelles des autres personnages. L'économie de gestes d'Abraham Ford en dit long sur ses compétences professionnelles de soldat. La posture d'Engene Porter en dit long sur sa confiance en lui, sa suffisance et son caractère fat, issus de son niveau de connaissances. La qualité de la narration visuelle de Charlie Adlard s'étend également aux séquences d'action que ce soit la survenance brutale d'un zombie, ou une lors d'une leçon de conduite délicate.


Alors même que le lecteur sait que le scénariste va lui jouer une entourloupe pour mieux préparer sn chapitre suivant, il se laisse embarquer du fait de son investissement émotionnel dans les personnages, et de la situation toujours fluctuante qui leur interdit tout espoir de repos ou de projection à moyen ou long terme. Alors même qu'il se dit qu'il va retrouver les dessins falots de Charlie Adlard, il se rend compte de temps à autre que leur apparente banalité et fadeur correspondent au fait que le dessinateur est tout entier au service de l'histoire, sans jamais chercher à se mettre en avant, comme s'il avait fait table rase de son ego d'artiste pour ne jamais devenir un obstacle au récit.

Presence
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le 20 juil. 2019

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