Dure France, cher pays de notre enfance: Collombat et Davodeau mènent l’enquête

À lire avec des extraits sur Branchés Culture: http://branchesculture.com/2016/01/05/davodeau-collombat-cher-pays-de-notre-enfance/


Pour la première fois, le grand reporter Benoît Collombat a croisé ses talents d’investigateur sans peur et de chercheur de vérité avec les crayons d’Étienne Davodeau, figure emblématique de la bande dessinée documentaire actuelle. Le résultat est colossal: Cher pays de notre enfance. Une riposte en règle aux mensonges propagés et aux crimes commis au nom du gaullisme dans les années 70’s, les années de plomb, celles d’une Vème République qui perdure toujours et dont les relents criminels ont encore des conséquences aujourd’hui. Bienvenue au pays des voyous, souvent politisés, parfois flics ou même procureur de la République. Un peu comme si Scorsese avait semé ses personnages dans une France (pas si) flamboyante.


Édifiant autant que très inquiétant, les mots ne sont pas exagérés tant cette enquête (bien) dessinée enfonce les clous dans l’épouvantail que fut (et est encore?) la France à une époque pas si lointaine. Dans Cher pays de notre enfance, Benoît Collombat et Étienne Davodeau ont battu la campagne (sauf celle qui se veut politique) et sont sortis des sentiers battus par les rapports de police, les témoignages intéressés et les bobards camouflés pour réunir une flopée de témoignages inédits et tous sans équivoque sur la manipulation menée par un état (pourtant) démocratique bien décidé à cacher certaines vérités et à propager celles qui l’arrangent.


Du coup, les deux partenaires n’ont pas eu peur du kilométrage pour aller de témoignage en témoignage au départ de la mort du Juge Renaud jusqu’au faux-suicide (mais plus-que-probable vrai assassinat) de l’ancien ministre Boulin, sans oublier le syndicat patronal, le CSL, omniprésent dans l’industrie automobile et qui fait plier plus d’un ouvrier par des méthodes plus violentes qu’illégales.


En filigrane, se détache pourtant un point commun, un trouble ami du pouvoir désigné par trois lettres seulement, bien légère pour soutenir l’ampleur des méfaits commises par l’emblématique S.A.C., le service d’action civique de De Gaulle et ses successeurs. Une police parallèle qui veut l’ordre tout en passant par le désordre (tout en le camouflant bien comme il faut) que Collombat résume assez bien dans un passage du livre: « Il a germé dans le climat de violence « légitime » de la résistance. Pour certains de ses membres, il a ensuite pu être perçu comme un moyen de prolonger cette « fraternité d’armes »… avant de complètement dériver. »


Des dérives douteuses, aux conséquences terribles, que les auteurs, courageux mais sûrs de leur devoir à toucher la vérité, n’ont eu de cesse de traquer dans les discours de ceux qui ont bien voulu leur prêter paroles et un peu de mémoire. Ce n’est pas le cas de Charles Pasqua, mais bien de journalistes, policiers, patron des renseignements généraux, ouvriers automobiles ou filles et fils de victimes des dérives étatiques. Et, si plus de 35 ans ont passé, de même que peu de choses sont élucidées (avec les bâtons dans les roues qui leurs vont bien), les témoins rencontrés ne sont pas pour autant à l’abri de la menace, peut-être moins prégnante mais toujours présente, sans délai de prescription. Comme le beau-frère de Jean Boulin plusieurs fois « prévenus » et dont le hangar fut incendié… en 2011, juste après un passage à la télé. Ou l’assistant parlementaire du député suppléant de Boulin qui, en 2003, là aussi après une interview, fut tabassé sur le chemin de sa cave et laissé pour mort.


Bref, Cher pays de notre enfance, c’est beaucoup plus « Dure France » que « Douce France » et c’est loin d’être du Trenet. Si ce n’est dans ces vieilles casseroles que traînent le « pays des droits de l’homme » avec un aplomb déconcertant. Non loin d’elles, se trimbalent les ombres au-dessus de tout soupçon (?) de Chirac et Sarkozy. Et de cette enquête grandiose, exclusive (même si les deux auteurs sont trop modestes que pour l’afficher, et puis ça gâcherait la si belle couverture), les deux auteurs émergent avec du neuf et une méthodologie à toute épreuve. Un constat accablant pour un ouvrage à replacer dans toutes les bonnes bibliothèques, dans toutes les écoles de journalisme mais aussi dans celles de bande dessinée.

Alexis_Seny
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le 5 janv. 2016

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Alexis Seny

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