Cœur de canard - Donjon Zénith, tome 1 par Sejy

Je n'aime pas (ou si peu) l'Héroic Fantasy. Et je le confesse, c'est avec un plaisir doublé d'un chouia de perversité que j'aspirais à voir tourné en dérision cette branche de la Bd ultra codifiée et trop uniforme à mon goût. Mais le couple Trondheim/Sfar est plus subtil que cela et surtout plus talentueux. Inventifs, drôles, ils revisitent les clichés, détournent les conventions et, dépassant avec brio la parodie, créent finalement un nouveau courant rafraichissant et savoureux. Une alternative et un presque hommage (j'ai dit presque) à un genre qui m'apparaît à présent infiniment plus sympathique.

Donjon Zénith, c'est du fantastique médiéval, exubérant et décalé, quelquefois absurde, où les antihéros côtoient des monstres « gentils » (non, on n'est pas chez Casimir ! Quoique Marvin aurait un petit air de famille) et dans lequel les combats les plus sanglants et meurtriers sont livrés à coups de plume et de rot dévastateur. Les situations dramatiques succèdent aux péripéties les plus loufoques ou aux parenthèses plus poétiques (si, si, y'en a), toutes portées par de délicieuses répliques au vocabulaire étrangement contemporain et rivalisant d'ingéniosité ou de drôlerie. Les trésors d'un humour ciselé indifféremment au scalpel ou au bulldozer qui offre à la série une atmosphère burlesque, légère, où la cruauté et la mort paraissent pour ainsi dire anecdotiques.

Là où l'œuvre frôle le magistral, c'est que tout ce énième degré se donne des airs sérieux. Un univers (en expansion) qui, outre son délire et son originalité, affiche une légitimité et une cohérence qui le révèlent d'autant plus riche et passionnant. Les personnages, faisant montre d'une belle profondeur de caractère, s'éloignent de la caricature et ne sont que plus attachants. L'émotion s'en ressent, forcément. La trame est emportée et souvent surprenante, mais demeure parfaitement maîtrisée. Elle est efficace, d'un intérêt grandissant et d'une irrésistible intelligence ; on y appréciera, de-ci de-là, les quelques accents de philosophie (version comptoir) ou ersatz de réflexion lorsque la critique sociale affleure. Des douceurs qui s'ajoutent à la marrade générale et au plaisir sans pareil de réveiller et régaler notre imaginaire d'ancien gosse (on aurait dit que je suis un gentil avec une super épée et une ceinture magique qui me transforme en guerrier et que j'aurais aussi un manteau qui me protège des blessures et aussi un copain reptile vachement balèze...).

Le graphisme, de ce style minimaliste que l'on a souvent lu « enfantin », je le trouve simplement beau. Dynamique, généreux dans le détail et d'une superbe mise en couleurs, il va d'abord à l'essentiel. Impulsant également un tempo, une petite folie supplémentaire, il fournit le « costume » idéal au récit.

Bienvenue dans la cour de récré pour adultes !
Sejy
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le 19 août 2011

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Sejy

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