Décidément, ce « Pays d’Ailleurs » est bien celui de l’Inconscient. Au cas où cela n’aurait pas été très clair dans les volumes précédents, celui-ci nous met les points sur les i. Outre la fantaisie onirique des décors, l’action essentielle (suggérée dans le titre) consiste en la très classique confrontation du Héros et de son Ombre, sauf qu’ici, il y a deux Héros et deux Ombres : Rebecca et son Double, le Père Gab et le « Maître des Ombres ». Traditionnellement, l’Ombre est l’ensemble des traits de caractère du Héros inadaptés à sa propre évolution spirituelle – évolution qui, comme par hasard, coïncide avec une intégration sociale et le respect des valeurs altruistes et solidaristes en vigueur dans la société. Dans cette série conçue pour les enfants, ça ne rigole déjà pas, le conditionnement social...

Comme le scénario avance, on a droit au classique renforcement de pouvoir de l’Ombre qui précède l’affrontement final. Ce renforcement de pouvoir passe ici non pas par une conquête territoriale (cas le plus fréquent), mais par une matérialisation du Maître des Ombres, qui n’est donc plus une Ombre, mais prend la substance du Vivant, mutation qui lui ouvre la perspective d’une invasion de notre Monde. Symboliquement : la personnalité consciente est menacée d’être dominée par le Mal et les comportements antisociaux.

Lors de la confrontation, on est un peu surpris par la fragilité du « vilain » qui, bien qu’il nous serve le classique « Gnac-gnac-gnac, enfin je vous tiens en mon pouvoir et je vais vous tuer !», s’affole anormalement vite quand les enfants menacent un lieu appelé « Source », d’où viendrait évidemment son pouvoir maléfique, mais dont le fonctionnement et même la configuration ne sont pas très clairs. Est-ce un puits infernal d’où jaillit la libido aveugle (planche 39) ?

On notera l’assez inutile clause de style athéiste (planche 3), qui ne sert pas à grand-chose, sinon peut-être à établir une connivence avec un lectorat supposé rendu hostile à toute croyance religieuse grâce à la propagande de notre beau pays. Par contre (planche 6), les révélations sur le fonctionnement du Maître des Ombres et ses origines commencent à sourdre, et on n’est pas surpris (planche 5) que ces origines soient liées à une dissociation psychique du Père Gap, en rapport avec un traumatisme et une complexe de culpabilité.

La richesse des décors renvoie à pas mal d’images primordiales, magnifiées par les effets de gullivérisation célébrée par Gilbert Durand : tout y paraît immense, parce que tout est placé sous le regard des enfants. Ainsi, cette fabuleuse forêt primordiale (première vignette), avec ces arbres géants et ses ponts de terre pratiqués au-dessus de gouffres insondables ; ces rochers moussus aux formes inquiétantes (planche 9), proches des paréidolies qui nourrissent les cauchemars enfantins. L’antre du Maître des Ombres, forteresse verticale (évoquant la rigidité et le blocage mentaux) juchée sur un rocher qui flotte au-dessus d’un cratère, comme dans « Avatar » (Planches 10, 20). Muraille démesurée (planches 28 et 29).

Le point délicat est : que va-t-on faire des Ombres, ou de ce qui en reste ? Va-t-on nous jouer la barcarolle du « tout finit par des chansons » ? Ne pas oublier qu’il y a un gosse porté pour mort dans l’affaire, et des larves d’animas qui traînent ici et là....
khorsabad
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le 21 janv. 2015

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